22 mars 2018

Tai Balo ou l'alter-touriste

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Au Vietnam, les habitants utilisent l’expression péjorative tai balo pour désigner le genre de touristes qu'on appelle dans notre langage "backpacker" ou "routard". Pour faire un rapide dessin : le touriste classique monte dans un cyclopousse pour faire le tour des sites à voir absolument, tandis que le tai balo loue une moto un peu déglinguée pour parcourir la campagne et sortir des sentiers battus. Il est persuadé que son écharpe en lin bio et ses claquettes en bambou local le fondent dans la population.

Les destinations exotiques comme celles-ci abritent bel et bien, en effet, ces deux types de faune occidentale :
  • D’un côté, le touriste « Club Med », soixantenaire abonné aux circuits organisés, ventripotent, sandales-chaussettes, dont l’archétype est le retraité allemand - lui vient chercher le soleil qu’il n’a pas chez lui et si possible un supplément d’âme qu’il pourra ramener dans ses bagages. C'est plus ou moins lui que l'on trouve traité dans le roman Plateforme de Michel Houellebecq.
  • De l’autre côté, le tai balo : 25-40 ans, look négligé, débardeur et pantalon ethnique, le lobe d'oreille troué et élargi par un rond en métal, les bras et les mollets bariolés de tatouages primitifs, asiatiques, arabisants… Le gars à la recherche d’autres voies mais qui s’est visiblement paumé en chemin.
Ce qui est délicieux, c’est que c’est lui, le tai balo, que les locaux ont jugé nécessaire d'épingler par un nom d’oiseau. C’est lui qui interloque et qui paraît une bête curieuse, plus que l'Allemand à caméscope, qui au moins compensait sa présence par la consommation d'articles souvenirs ou de cartes postales.

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Le tai balo, tel le lieutenant John Dunbar dans Danse avec les loups, croit avoir déserté l’Union, abandonné l’uniforme et rejoint les Peaux-Rouges pour vivre avec eux, mais en réalité son camouflage ne trompe que lui. On ne le confond pas. Sa conception du voyage, construite en opposition à celle de notre Allemand, n'est pas perçue comme telle par l'autochtone : elle s'impose à ce dernier comme un produit d'importation tout aussi grotesque et incompréhensible sinon plus.

Le tai balo et l'Allemand hagard râpant ses claquettes sur le carrelage de la piscine du resort hotel : ils ne sont qu'un seul et même personnage, celui de l'Occidental épuisé. Tous deux sont là en convalescence civilisationnelle, paumés, ne sachant plus où ils en sont.

Il n'y a pas 36 façons d'être un touriste, et il n'y en a qu'une de ne pas en être un : c'est de rester chez soi.

8 commentaires:

  1. Entièrement d'accord avec l'article et la pollution que représente le tourisme de masse. J'avais l'idée dans le coffre de ma R-16 pour un article ici, mais pour le coup, j'ai été une feignasse. Une seule solution en principe : Il faut supprimer les congés payés. Et je suis sincère.

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  2. Seuls les incultes sont acculturés et donc touristes potentiels, tant pis pour leurs gueules de flemmards hein... Intégrer et faire vivre une culture aussi complexe que la nôtre ne rapporte pas un kopeck, demande un investissement de temps important sans y gagner de concrètes contreparties et n'est clairement pas hype en société, plus facile de courir les aéroports afin de "faire la Thailande".

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  3. kobus van cleef24 mars 2018 à 08:56

    Le tourisme c'est l'art de transporter des gens qui seraient mieux chez eux dans des endroits qui seraient mieux sans eux

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  4. Rester chez soi ?
    Sans doute, sans doute.
    Sauf que quand l'ailleurs est chez nous, que faisons-nous ?
    Et bien nous nous transformons en touristes chez nous, sans avoir à bouger.

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    1. kobus van cleef28 mars 2018 à 08:30

      Comme le dit fazer makenzie, de la fenêtre de son appartement,à brBruxell, Tintin voit le fleuve Congo, il n'aura pas eu besoin de refaire le voyage pour le revoir

      Lorsqu'on me dit "toi qui voyages beaucoup, tu devrais visiter l'Afrique, y a rien de plus beau !"
      Je répond souvent, à la grande incompréhension de mon terlocuteur ( et souvent au risque d'une mort sociale)
      "l'Afrique? pourquoi ? elle s'est déjà déplacée jusqu'à moi"

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  5. C'est surtout le fait que ce crétin béat de tai balot ne lâche pas une thune qui énerve les autochtones.

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  6. Dans leur propre intérêt touristique, les backpackers devraient défendre une écologie des peuples au sens où l'entend Juvin, or ce sont pour la plupart des citoyens du monde autoproclamés, allergiques aux frontières, pour qui la mobilité, la mixité, la fraternité universelle sont des principes sacrés.
    A l'opposé, l'idée du "chacun chez soi" trouvera un écho plus favorable chez le touriste traditionnel des clubs de vacances, peu versé dans l'immersion ; pourtant la conservation d'une sociologie locale n'a pas grand intérêt pour lui. Il y a là une contradiction amusante.
    Cela démontre juste que le backpacker n'est pas un vrai voyageur, mais juste un inconséquent qui se rêve en aventurier. Un vrai voyageur comme Sylvain Tesson dit strictement la même chose que Juvin.

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