2 décembre 2017

Courrier des lecteurs : François Sanders vous parle cinéma

Gens mimant des points d'exclamation avec les doigts
Cinéma. Critique du film CAPTAIN FANTASTIC.



CAPTAIN FANTASTIC est le père d’une famille de six enfants. Ils vivent à l’écart de la civilisation et forment une société qui habite une forêt située au nord-ouest des Etats-Unis. Leurs journées sont dédiées à l’entraînement que ponctuent quelques rites païens. Témoin celui du début du film : le fils aîné est torse nu, il traque et tue un daim à l’arme blanche, puis s’enduit du sang de l’animal dont il tend le cœur à son géniteur : il devient un homme au terme d’une communion panthéiste.

La mère est absente à cause d’une maladie grave. Autrefois partie prenante du clan, elle meurt à l’hôpital de sorte que le père s’occupe seul de leurs enfants. Il les initie à la philosophie, à la littérature, aux langues, à la musique, aux sciences, et à la culture physique. La matinée sportive se partage entre course à pieds, escalade, yoga et exercices de musculation. L’endurance cardiaque et musculaire des enfants est préhistorique -« impressionnante » s’étonnera un médecin. L’après-midi et la soirée sont consacrées à l’étude. Le film exalte les vertus de la puissance intellectuelle et du corps, et montre que le goût de l’effort, compris comme tension permanente de l’existence en vue de remporter la lutte pour la vie, est le legs d’un père d’élite. Un patriarche.



Causes de l’exil : dégoût du consumérisme et de la malbouffe. Ceci, avec leur accoutrement, ne doit pas associer les sept fantastic aux hippies. Ils ont beau se parer de fleurs et porter des vêtements baroques, amples et flamboyants, leur discipline les sauve du ridicule. C’est cette discipline que CAPTAIN FANTASTIC oppose à l’hédonisme woodstock qui assimilait l’habit et la mode, l’instinct et le trip, la détermination et le déracinement.

Aux USA, c’est du côté des beats qu’il faut chercher. Connus pour leur amour du mouvement, les compagnons de Jack Kerouac écrivaient leur quête de sens. (Autre acception du rêve américain.) Il y a aussi loin entre ces nietzschéens et leur version dévoyée, lesbeatniks, qu’entre ceux-ci et la famille fantastic.

L’œuvre de Kerouac l’amena jusqu’en sa Bretagne ancestrale à laquelle il se rendit compte qu’il était organiquement lié par le sang. A l’image de la beat generation, c’est leur identité que les fantastic beatsaffichent dans le choix de leurs vêtements. Et c’est même une identité païenne qu’ils découvrent sur la route, depuis la forêt jusqu’à la sépulture ultime de la mère. Le road movie qu’est CAPTAIN FANTASTIC se conclut sur la crémation du corps. Difficile à qualifier : hindou ? aryen ? scythe ? celte ?, l’épilogue montre une célébration de la mort et de la vie selon la liturgie du cycle : la famille danse autour du feu, joie tragique, heureuse de saluer celle qu’ils reverront, éternel retouroblige. Chronique du retour aux sources. Sens beat.

Bien que l’écologie du groupe rappelle celle d’un Knut Hamsun, ses discours trahissent des idéaux d’extrême-gauche : universalisme, foi en l’homme à condition qu’il soit instruit et éduqué, et c’est alors seulement la société qui le pervertit. Ils confondent fascisme et capitalisme dans une force d’oppression qui s’exercerait à l’encontre du peuple et de sa liberté (quiconque connaît l’histoire des idées sait que c’est faux, ou a minima qu’il s’agit d’une ellipse). Il n’existe de raison supérieure qu’en Noam Chomsky, prophète de la tribu qui ne jure que par l’humanisme.



Mais la figure du père préserve ses ouailles de cette confusion.

Point cardinal de leur vie, il est une exception de la nature. Une force dont la perfection physique le dispute à son intelligence ahurissante. Il n’est jusqu’à la médecine qui ne lui soit étrangère. C’est bien simple, CAPTAIN FANTASTIC semble connaître absolument tout, et c’est sans doute ce qui explique ce titre à la blockbuster. Le cénacle familial que ce su-père (aurait dit Lacan) a créé est « l’une des premières expériences de ce type jamais réussies dans l’histoire de l’humanité » (sa femme). C’est dire le génie de CAPTAIN FANTASTIC qui abandonne à la théorie ses principes universalistes. Il est difficilement envisageable qu’enseigner la physique quantique en même temps que les techniques de survie soit à la portée de tous les chefs de clan. Le choix de vie de CAPTAIN FANTASTIC est impossible à étendre ; il est bien trop exigeant et amène davantage à l’aristocratie qu’à la démocratie, donc au petit nombre, c’est-à-dire au nom et au sang. Sa praxis de la force n’appartient qu’à eux.

Il entend faire de ses descendants des philosophes-rois. S’il est évident qu’il est influencé par Platon et qu’il pousse à penser à la république, il ne mentionne jamais le disciple de Socrate autrement que par l’expression de philosophe-roi, comme si la leçon importait plus que son professeur par ce qu’elle comporte de monarchie. En réalité, CAPTAIN FANTASTIC n’est pas un gauchiste. C’est un aristocrate de gauche, donc un roi-philosophe qui préfère l’équité à la liberté, et l’égalité réelle à ses chimères communistes. Durant l’Antiquité, il eût été spartiate ; au XIIIème siècle, ce fût un Saint-Louis ; dans les années 20, un fasciste type Guido Keller ; et au XXIème siècle, une synthèses des trois : un nouvel archétype, donc. Le regard de Viggo Mortensen le rapproche d’un Fitzcarraldo qui sortirait de DESSOUS DU VOLCAN. A la limite, pour rendre compte de son mode de vie païen, du souci qu’il a de ses gens : de son volk, et de son tempérament lowryen, on pourrait parler de « volkanisme » à son sujet.

Un démocrate ? Sa radicalité doublée de son ardeur à préserver sa famille de la médiocrité par l’instruction frappent de cette évidence qu’il n’est en pas un. Quel démocrate humilierait ses neveux, abrutis de marques et de jeux vidéos, en étalant devant eux leur bêtise qu’il confronterait à la brillance de sa progéniture ? CAPTAIN FANTASTIC déteste ce qui n’est pas directement de lui ni comme lui. Il ne préserve pas le faible : il attaque ce qui menace le fort. S’il lui est reproché d’être trop dur, tous reconnaissent le succès de son éducation. C’est cela le volkanisme, c’est cruel, brutal et ca fait pleurer, mais ca marche.



Le public de la salle de cinéma a applaudi la fin du film. C’est très français que d’acclamer n’importe quelle tirade antisystème, et c’est agaçant, mais dans le cas de CAPTAIN FANTASTIC, ce fut amusant parce que tous les applaudissements encensaient ce qu’ils prétendent habituellement détester, c’est-à-dire l’aristocratie de fascisme version Mishima. CAPTAIN FANTASTIC a beau agonir la société de consommation et vivre dans la nature, il n’en reste pas moins aussi éloigné du ZADiste que je le suis du singe. Son ordre de tenue et d’élégance durant les repas, quand même la famille mange par terre, suffit à le prouver (c’est d’ailleurs très aristo comme comportement, très dandy perdu dans les extrêmes de droite, ha ! la discipline, cette boussole de l’honnête homme !). Mais je ne doute pas que ces vivats ne fussent sincères. Je suis convaincu que les gens admirent CAPTAIN FANTASTIC et son cortège d’exigences. En sorte qu’ils prouvent, ces vivats, que le volkanisme propose une éthique grisante. L’instinct enchanteur, primitif et définitif. Il suscite les hourras de ce monde, qu’ils soient inconscients ou conscients, de gauche ou de droite. Il subjugue, à l’image de CAPTAIN FANTASTIC.

1 commentaire:

  1. Petit CGB de mon coeur, justifie donc le texte : ce sera encore plus agréable à lire.
    Chocobisous.

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