17 novembre 2017

Un Ami qui vous veut du Bien


Il y a le bien connu « ami noir » : celui qu’une personne accusée de racisme invoque pour se disculper. L’ami noir se décline en ami arabe ou en ami homosexuel selon les circonstances. A noter au demeurant : l’alibi de l’ami noir, pourtant imparable du point de vue du sens, est néanmoins disqualifié d’office, écarté d’un revers de manche sans autre forme de procès. Personne n’ira vérifier si vous avez effectivement un ami coloré, ou gay, ou si c’était du bluff. Le simple fait d’avoir usé de l’argument, même vrai, ne fait que vous enfoncer, et prouve s’il était encore besoin votre racisme congénital.

A côté de « l’ami noir », posons à présent le concept de l’Ami du Noir. L’Ami du Noir, c’est ce Blanc qui lui non plus, ne compte pas nécessairement de Noir dans son entourage, mais qui pourtant est extrêmement sensible à ce que ce Noir se sente bien. Prévenant, il oeuvre à un monde où rien ne pourrait froisser un Noir si d’aventure il en entrait un dans sa vie.

Pour ce faire, l’Ami du Noir a une conscience raciale aigüe, il anticipe tout ce qui, dans les discussions et dans le débat public, pourrait mécontenter une personne de couleur. En soirée, si dans le vif de la discussion quelqu’un demande à l’Antillais assis dans le canapé ses origines, l’Ami du Noir intervient : « il est Français voyons ! Pourquoi demandes-tu ça à lui et pas à moi ? ». Mieux que le Noir lui-même, l’Ami du Noir conçoit la douleur d’une telle question – douleur inexplicablement supérieure à celle du Toulousain à qui l’on demanderait d’où vient son accent. 

L’Ami du Noir, lui aussi, existe en version « ami du Gay ». A la même soirée, s’il entend dans son dos deux types se traiter « d’enculé » pour rigoler, il s’interpose et les prie de choisir un autre vocabulaire, un juron qui ne stigmatise aucune pratique sexuelle librement choisie. Pas par égard pour l’éventuel homo qui rôderait dans la pièce, mais pour lui-même, dont les oreilles progressistes ne souffrent plus de telles offenses. Seul, avec ses petits bras, il s’est mis en tête de faire évoluer la langue française vers quelque chose de plus gay friendly.



- Enculé !
- C'est çui qui dit qui y'est !

Ami du Noir, Ami du Gay... et Ami de tout ce qui, en réalité, peut prétendre au titre de minorité ou de victime homologuées, nous tenons là notre équivalent français du Social Justice Warrior. Il est fervent défenseur de tout ce qui n’est pas lui. Fervent défenseur de l’Autre. Un Autre abstrait qui de fait, ne lui avait rien demandé. Fervent fossoyeur, par contre coup, de tout ce que Grand'Pa voulait qu'il soit. Il en a la mentalité, mais pas les piercings ni les cheveux bleus. C'est un SJW en civil, coulé dans la masse. Il a l'allure d'une personne raisonnable. Il est bon citoyen. Impliqué dans la vie de la cité. Partisan du débat raisonné qui fait avancer les choses. Il en appelle à l’intellect consciencieux, au doute et à la remise en cause, à la saine réserve, au réexamen... Il établit ses jugements avec prudence, veut ne pas aller trop vite en besogne, observe la présomption d’innocence, surtout quand les apparences sont évidentes. Padamalgam. Pic et pic et colegram. Sauf lorsque l'on aborde... un cas de racisme, de sexisme, ou d’homophobie.

Là, toute mesure devient fort malvenue à ses yeux. Il convient au contraire d’en faire un maximum, de ne rien minimiser, de ne pas temporiser. Mettre des guillemets aux propos de la victime, c'est être complice. Vouloir relativiser, doser son jugement ou calmer le jeu, en soi, serait déjà suspect. Bienvenue dans un monde d’hystérie et de surenchère, où précisément, on ne saurait en faire trop :
  • Affaire Hanouna : quand l’animateur vedette piège en direct un homo qui a laissé une annonce sur un site de rencontres, c’est jour de deuil national. Le sommet de l’ignominie. Horreur. Envie de vomir. Mal à ma France. Les réseaux sociaux tressaillent, Bolloré condamne, même les annonceurs publicitaires sont écœurés, c’est dire ! Ce que l’on reproche : non pas que la télévision rie avec la détresse sentimentale de quiconque à heure de grande écoute, mais que ce quidam soit homosexuel. Infraction constituée. La souffrance de la victime prend aussitôt 200 points, elle est incommensurable, monstrueuse, sans rapport avec celle qu’un puceau lambda mais hétéro aurait pu ressentir dans pareille situation. 
  • Affaire Théo : qu’avez-vous besoin de chercher à en savoir plus, à trier le vrai du faux avant de forger votre opinion ? Les faits sont devant vos yeux, noir sur blanc ! Un jeune de banlieue s’est plaint de la police, que vous faut-il de plus ? Ne voyez-vous pas avec suffisamment d’évidence à qui doit revenir tout le bénéfice du doute ? 
  • Affaire Hamou : à la sortie de Roland Garros, le jeune tennisman enlace de façon certes lourde la journaliste qui l’interviewe, dans un moment de liesse, devant caméra. Peut-on parler de viol ? - Bah non quand même pas. - Bah si espèce de mâle privilégié incapable de prendre la mesure du préjudice traumatique ! - Ok, ok

Commentant les insoutenables images pour en faire un cas d'école, une Youtubeuse sponsorisée par Arte parlera d'agression sexuelle, en précisant : « Vous me direz qu’on ne peut peut-être pas parler techniquement d’agression sexuelle pour cette séquence mais peu importe… ». C’est exactement ça : PEU IMPORTE. Il n’y a là ni agression sexuelle, ni agression tout court ; juste un comportement de gros lourd, qu’on avait réussi ces 35 000 dernières années à régler avec une simple baffe sur le museau, mais PEU IMPORTE. Quand on parle harcèlement, il n’y a plus à s’embarrasser de nuances. Une main au cul, un compliment non sollicité, une avance, ou un viol nocturne dans un fossé : c’est grosso modo la même chose, et il faut être un beau salaud pour chercher à faire des différences mesquines dans la nature ou dans la gravité des faits. Tout cela est une seule et même chose. Patrice Allègre et le prof de sport qui avait fait une remarque déplacée sur ton soutif au lycée : même combat ! Ils ont été élevés cochons ensemble. Ils partagent la même culture du viol. Toi qui entre ici, abandonne toute mesure. Fais-en un max. #Balance ! De fil en aiguille, on en arrive à ces situations d’hystérie collective où, à la première accusation, Hollywood efface Kevin Spacey d’un film où il figure à l’affiche : gommage numérique de sa trogne, scènes retournées en hâte avec un acteur de substitution, retouche des affiches, des peluches promotionnelles… tout pour que le film sorte comme prévu, mais halal : sans Porc.

Et pourquoi s'arrêter là ? A quand le coffret DVD remasterisé : American Beauty, Usual Suspects, tout Spacey sans Spacey ? Puis on passera à la filmo de Marlon Brando : un mâle prédateur comme lui doit bien avoir tâté quelque fessier sans consentement. Puis à la réédition de la filmo de John Wayne : un petit coup de nettoyage et les fans de western pourront enfin accéder à l’œuvre de John Wayne sans John Wayne, ce facho… On exige bien le déboulonnage des statues qui ne conviennent plus, pourquoi tolérerait-on de les voir dans le patrimoine cinématographique ?

Il faut s'attendre à assister de plus en plus régulièrement à ces véritables « minutes de la haine », toujours plus hystériques, orchestrées dans les médias, dans les rues, sur les réseaux sociaux... L'Ami du Noir, du Gay, des Femmes... s'en donne à cœur-joie, et plus la société accorde de place aux minorités, plus il est virulent dans sa lutte. Plus l'objet du scandale est anecdotique (un canular sur un homosexuel, un dragueur de terrasse trop insistant...), plus il hurle fort. Il dénonce le « manspreading » (le fait que les hommes ne serrent pas assez les cuisses dans le métro !) avec plus de véhémence que Rosa Parks en son temps pour le droit de prendre le bus en être humain. C'est que cette hargne autour des symboles insignifiants est également bien commode pour détourner les yeux des affaires plus importantes. Nos féministes furent très peu à s'exprimer sur les agressions commises en bande contre des femmes lors de la Saint Sylvestre à Cologne l'année dernière. Trop occupées à faire buzzer un hashtag sur la drague de rue. 

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