15 janvier 2013

Les gens qu'on aime : Donald Fagen

Non, nous ne sommes pas des amis parfaits. Par négligence, il nous arrive de perdre le contact avec les meilleurs des compagnons, parce que nous ne leur consacrons pas le temps nécessaire au bon moment, parce que nous faisons autre chose, parce que nous galopons au lieu de flâner ou parce que cela demande un petit effort, et que nous sommes faibles. Puis, quand le temps écoulé sans visite devient trop important, la honte nous empêche de reparaître en disant simplement bonjour. Nous cherchons alors des prétextes, nous nous maquillons, nous attendons le bon moment, qui ne vient pas. Nous échafaudons des plans pour pouvoir faire comme si de rien n’était. Peine perdue : nous cherchons la formule magique là où la plus grande simplicité serait requise. Et nous remettons au lendemain, puis au lendemain.

Souvent, à court d’idées géniales mais enfin décidés, nous choisissons l’occasion la plus « tarte » pour repointer notre museau : une fête, la saint-machin, un anniversaire. Au fond, est-ce que les anniversaires ne sont pas faits aussi pour ça, retrouver les gens qu’on aime ?...

Non, nous ne sommes pas des amis parfaits, mais qui nous le demande ? Nous choisirons donc ces prétextes grossiers, les anniversaires, pour parler ici de ceux qui nous sont chers ou simplement les évoquer. Faire connaître, rappeler, signaler leurs présences.

Ce 10 janvier 2013, commençons donc par célébrer les 65 ans de Donald Fagen, l’orfèvre discret du jazz-funk, le plus mal fagoté des princes de l’élégance.

Plutôt que d’en parler, écoutons-le. Un morceau emblématique, daté de 1982, résume à mon avis très bien l’art du bonhomme, Maxine. (Précisions d’emblée que le traitement de la batterie est le seul « défaut » de ce petit chef-d’œuvre, un détail qui rappelle le défaut majeur et général des années 80). Passons donc sur le son de la batterie pour nous régaler du meilleur, la mélodie, l’arrangement fascinant des chœurs, la grâce harmonique. Et en passant, le saxophone de Mickael Brecker…



Comme un chroniqueur américain l’a récemment remarqué, la différence entre les vieux rockers du genre des Stones et les dinosaures du calibre de Fagen, c’est que les premiers ont bâti leur gloire sur un public d’adolescents, avec des chansons qui s’adressaient à eux, avec leurs mots. Quand vous n’êtes plus adolescent vous-mêmes (pour peu que vous soyez anglophone), les love me, hold me, I wanna love you all night long, ça ne fonctionne plus. Ça paraît même d’une niaiserie confondante (sans parler du spectacle offert par des septuagénaires se dandinant dans des poses sexy…).
Donald Fagen, lui, n’a jamais écrit pour les adolescents américains. Et surtout, il ne s’est jamais contenté des 200 mots sur quoi on a bâti l’ensemble du rock. Sophistiqué, le mec ? Plutôt, oui. Le résultat, c’est qu’on peut écouter des chansons qui ont quarante ans d’âge sans céder à une condescendance navrée : ça tient le coup.

Maxine est justement une chanson d’amour qui met en scène des adolescents, ou de très jeunes adultes.

Some say that we're reckless
They say we're much too young
Tell us to stop before we've begun
We've got to hold out till graduation
Try to hang on Maxine

While the world is sleeping
We meet at Lincoln Mall
Talk about life the meaning of it all
Try to make sense of the suburban sprawl
Try to hang on Maxine

Mexico City is like another world
Nice this year they say
You'll be my senorita
In jeans and pearls
But first let's get off this highway

We'll move up to Manhattan
And fill the place with friends
Drive to the coast and drive right back again
One day we'll wake up, make love but 'til then
Try to hang on Maxine

Quand on parle d’une musique qui a accompagné notre jeunesse, on ne peut pas être objectif. Le cœur s’y met, et c’en est foutu de l’impartialité. Qu’importe ! Qu’elle soit « bonne », « grande » ou pas, c‘est aussi cette musique qui nous a fait, ça ne s’oublie pas. On l’aime comme on aime sa mère, presque. Elle nous soutient quand c’est nécessaire, nous berce, nous ravive, nous rassure. C’est une borne immatérielle à quoi on se repère, une chose qui ne change pas, quand tout se barre en brioche. Un air connu, c’est une langue familière qu’on comprend et qui ne se remplace jamais.


Alain Bashung disait qu’il ne pouvait pas entendre Be bop a Lula (version de 1956) sans pleurer. Tu comprends ça ? Passé un certain niveau d’intimité, la musique devient une forme particulière de l’amitié. On s’est trouvé, on ne se quitte plus. On profite des anniversaires pour se saluer. On y est fidèle parce que c’est ainsi, parce que c’était moi, parce que c’est elle.

Un connard a écrit qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve : qu’il écoute Fagen.


9 commentaires:

  1. Son dernier album est remarquable, bien qu'encore une fois mal(?)déservi par la batterie : des samples en boucle, bien réalisés certes, mais on peut déplorer l'absence du très bon Keith Carlock qu'il a pourtant depuis longtemps sous la main. C'est un choix artistique qui est justifié par la montée en niveau de tout le reste. On croyait pas ça possible, et pourtant :le résultat est époustouflant. "Miss Marlene" est une merveille.

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  2. Oh, il a quand même pas mal fait évoluer ses batteries, le père Fagen... C'est moins agressif/décalé qu'il y a trente ans (Super boulot sur "The New Breed", d'ailleurs). Même sans le très fin Carlock, c'est plus léger qu'avant, il me semble.
    Miss Marlene, c'est une superbe illustration de ce que Fagen fait depuis un petit moment, cet enchevêtrement de choeurs et de cuivres, arrangés à la gouge. Je résumerais l'impression que ça me donne en un mot ; smooth.

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  3. Oui, c'est vrai. Son point fort, à l'ami Donald, c'est les ponts, et les passages de transition entre les couplets et refrains (ça reste de la chanson). De ce point de vue, "the new breed" est probablement le morceau le plus travaillé de l'album. Ce type est un des rares qui ont passé les années 70, puis 80-90-00, et maintenant 10 avec brio.
    J'imagine la tête des autres songwriters de l'époque à la sortie de l'album, et qui n'ont plus écrit une chanson correcte depuis 15 ans ! Tous sous anti-depresseurs, les Bowie, Mc Cartney, Dylan, Iggy, et autre Springsteen !!!

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  4. Je suis pas très sensible au vocal jazz de ces années là ; je peux juste remarquer que c'est bien léché.
    Pour moi, c'est avant tout de la musique de restaurant tout ça.... Mais un bon restaurant hein, pas la crêperie du coin... Un restau chaleureux avec des murs en briques, chauffé par une belle cheminée d'époque, un éclairage romantique, des tables et des chaises en bois rustiques, une carte plutôt terroir mais moderne néanmoins, une petite amie complice qui se déchausse en douce pour vous stimuler du bout du pied, les odeurs de Lycra humide, de vin, de viande qui se mélangent...
    Ce mec pourrait totalement avoir sa place dans mon Panthéon de musique de restaurant, à côté d'un Al Jarreau par exemple. D'ailleurs à l'écoute on peut se demander pourquoi son nom ne revient pas aussi souvent que ceux de Jarreau ou Benson... Le racisme anti-blanc probablement...

    PS : Anonyme du 16 janvier 2013 20:40, s'il te plait, avec tout mon respect, ne mets pas Dylan et Springsteen dans le même sac que McCartney... Dire qu'ils n'ont rien écrit de correct depuis 15 ans est juste une énorme ânerie.

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  5. Bernard, à la lecture de ton commentaire, du début de celui-ci, je me suis dit que j'avais affaire encore une fois à un de ces types qui ne savent pas du tout ce qu'on peut faire avec la musique. Ces gens qui voient la musique pour accompagner un pizza, ou une blanquette aux bougies, comme ceux qui choisissent un tableau pour qu'il s'accorde avec leur tapisserie. Et puis, comme je suis un mec tranquille, je me suis dit qu'après tout, si tu as besoin de musique pour manger au restaurant, je n'avais rien à faire avec toi, rien à te dire (ou alors, ça prendrait trop de temps).
    J'allais laisser tomber.

    Puis, dans la seconde partie de ton commentaire, j'ai lu que tu défends l'idée que Bruce Springsteen ait pu écrire un truc valable, non pas dans sa vie, mais dans les quinze dernières années. Alors je vais être clair avec toi : prends tes CD du Boss, commande-toi une pizza quatre fromages, mets une bûche dans la cheminée ou fourre-toi là où tu veux et ne reviens jamais ici parler de musique avec moi.
    JA-MAIS !

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  6. On croit rêver : je me permet de chambrer gentiment un certain jazz pop des année 80, hautement stéréotypé selon moi, et je passe pour un hérétique qui ne connait rien à la musique... Je veux bien avoir le rôle du rustre et vous laisser celui du mec qui possède le bon goût universel en matière de musique ; ça n'a pas plus de sens qu'un concours de bites.

    J'ai pris la peine d'écouter the nightfly en entier et je trouve ça très cool, mais pas extraordinaire. Cela dit je peux comprendre que votre affect prenne le pas sur tout type de raisonnement censé... C'est d'ailleurs le sens de votre article, et il est très bien écrit.

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    1. Brousse Springuestine, putain ...
      BROUZ SPRINGFTINME !!!!!

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  7. C'EST DE LA MUSIQUE DE MERDE

    Moi j'aime Metallica, Alain Soral et Marie Laforet.

    ET JE VOUS EMMERDE

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  8. Jazz-rock …Beurk
    De la musique au kilomètre.

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