14 octobre 2011

Les Arts, les Lettres....et ta Mère

Bientôt à l'Académie française




Si vous aviez le malheur ces dernières semaines de visiter le site d'Allociné, vous ne pouviez échapper à l'affiche de « Beur sur la ville », la nouvelle comédie communautaire subventionnée de Djamel Bensalah. Comme pour chacune des oeuvres de l'auteur, celle-ci est précédée d'un véritable rouleau compresseur marketing étalonné sur plusieurs mois. Créer le fameux buzz, voilà un talent que se reconnaît lui même Bensalah. Ce n'est pas loin d'être le seul qu'on voudra bien lui accorder.

Première surprise : Djamel Bensalah arrive toujours à trouver des financements, malgré les échecs réguliers public comme critique de ses réalisations. La dernière en date, « Big City », malgré une promo et un budget maousses et une invitation au journal de 20h la veille de sa sortie, avait peiné à dépasser les 300 000 spectateurs en salle.
Deuxième surprise : après un rapide tour sur la bio Wikipedia du garçon, histoire de s'assurer qu'un chef-d'oeuvre enfoui ne nous aurait échappé dans la filmographie du sympathique Max Pecas de banlieue, Djamel Bensalah est depuis l'an dernier Chevalier des Arts et des Lettres.

Toujours selon Wiki, l'Ordre des Arts et des Lettres récompense les personnes qui se sont distinguées par leur création dans le domaine artistique ou littéraire, ou par la contribution qu'elles ont apportée au rayonnement des Arts et des Lettres en France et dans le monde. Pas mal. Ca ne vaut certes pas le Mérite Agricole, mais présenté comme ça, ça en jette.
Ainsi "Le Ciel, les oiseaux et...ta mère" + "Le Raid" + "Il était une fois dans l'oued" + "Big City" + "Beur sur la ville" = rayonnement des Arts et des Lettres en France et dans le monde = Chevalier des Arts et des Lettres. Une équation qui a dû surprendre jusqu'à l'intéressé lui-même.

Évidemment, et mes confrères CGBiens n'ont pas manqué de me le rappeler, on pourra objecter à cette impression de pantalonnade, que Bensalah ne fait que rejoindre Sylvester Stallone ou Sharon Stone dans la liste des heureux détenteurs du hochet. Mais, même si l'art n'y est déjà plus pour grand chose, les nominations des VRP du cinéma hollywoodiens peuvent s'expliquer. On sait que le business culturel s'est depuis longtemps substitué à l'art, mais quand notre parrain décore Stallone en 1992 et le fait Chevalier, on ne peut nier que les gros biscotos et le regard mort de Sylvester incarnent deux grandes figures du cinéma des années 80, Rambo et Rocky ainsi qu'une marée de billets verts au box-office mondial. Quant à l’héroïne de Sliver et Basic Instinct, nous savons de source sûre qu'elle doit sa médaille à la prouesse d' avoir réussi à éveiller à la bandaison hétérosexuelle ce brave Donnedieu de Vabres alors Ministre de la culture. C'est bien à ce tour de poignet qu'elle doit d'ailleurs d'avoir été élevée au rang d'Officier et non de simple Chevalier comme ses petits camarades (attention scoop CGB, Hush hush, tout ça tout ça..).

Mais Bensalah dans tout ça ? On ne lui connait pas de documentaire sur le monde impitoyable, rugueux et moite des écoles de boxe thaïlandaises qui aurait pu emporter le coeur de notre actuel Ministre de la Culture. Son seul véritable succès ? Il a dû en laisser les clés à son ancien assistant pour en faire une réussite populaire (Neuilly sa Mère). Ses talents d'acteur, de réalisateur, de scénariste, de producteur, de dialoguiste ? Restons sérieux. Une rencontre avec la critique ? Généralement, les critiques sont polies et préfèrent mettre l'accent sur l'idée qu'il est plus sympa que des jeunes de banlieue tournent des films plutôt que des filles, ou vantent les odes obligatoires du vivre-ensemble et de la diversité, bienheureux de ne pas avoir à s'exprimer sur le fond et la forme. Un pacte de non-agression toutefois de moins en moins respecté, son dernier film récolte 1,6 de moyenne selon les calculs d'Allociné. La rencontre avec un public nombreux et fidèle ? En termes d'entrées, la moitié de ses films sont des bides et les rares personnes qui se sont fait attraper par le plan marketing précédant les sorties, ressortent généralement navrées de la projection (toujours sur Allociné, les notes moyennes des spectateurs des films de Bensalah oscillent entre 1,7 (« Le raid ») et 2,5 (« Big City »).

La seule véritable rencontre concluante et fructueuse que l'on peut mettre au crédit de l'inoubliable réalisateur du film « Le Raid », c'est celle avec le responsable des subventions de la région Ile-de-France qui a encore lâché près de 500 000 euros d'aides pour le budget de « Beur sur la ville ». Une région non pas heureuse de s'associer à un ambitieux projet cinématographique, mais une subvention expliquée (voir l'article sur le portail de la région Ile-de-France) par l'incroyable contribution au tissu socio-économique régional du tournage du film dans certains quartiers du 93. En effet, le court temps du tournage de « Beur sur la ville » (3 mois) a fait exploser, non pas les vocations de comédiens, mais les demandes et les emplois temporaires en matière de sécurité (vigiles, gardiennage, maîtres-chien) autour des lieux de tournage. Ça valait bien 500 000 euros.

Les films de Bensalah ont pour objectif de remplir les multiplexes d'ados consommateurs de boîtes de popcorn taille familiale à 10 euros, puis d'occuper le temps de cerveau disponible à 20h30 sur M6 ou TF1 entre deux pages de pub. Un objectif difficilement atteint. Malheureusement pour lui (et encore il doit pas particulièrement s'en porter mal), il y échoue en grande partie et Djamel Bensalah ne doit ni ses budgets, ni ses récompenses à son talent ou à son amour du cinéma dont il parle fort bien en interview. Non, Djamel Bensalah est un driscriminé positif du hochet.

Djamel Bensalah élevé au rang de Chevalier des Arts et des Lettres, c'est la même démarche que celle qui a vu Barack Obama devenir Prix Nobel de la Paix au lendemain de son élection. C'est « l'Ordre du Chevalier de la Paix des Arts et des Lettres du Vivre-Ensemble » qui conviendrait le mieux. Une distinction a priori (il va forcément faire quelque chose de bien), résultat non pas de ce que son détenteur a fait, mais de ce qu'il est, de ce qu'il représente. Un acte vaguement militant mais surtout un acte symbolique, et on sait combien notre époque basée sur le simulacre est friande de symboles. Un symbole, mais aussi une preuve de mauvaise conscience. La mauvaise conscience de la fondation Nobel ou du petit monde du cinéma français, un peu trop consanguin, trop riche en white, en blancos pour reprendre les mots du Sarkozyste socialiste Manuel Valls.

Bensalah ne doit pas sa récompense à ce qu'il fait en temps que réalisateur, mais pour être devenu réalisateur. Il est un modèle positif. Il a accédé à la classe naissante des beurgeois, peut se donner des petits airs d'intello modèle façon Lilian Thuram alors qu'il fait et pense de la soupe, la réussite sociale remplaçant le contenu. « Regardez ce garçon m'ame Michu, oui le petit chétif à lunettes, l'arabe quoi, il pourrait être en train de violer votre grand-mère et au lieu de ça il préfère jouer avec ses petits copains avec la caméra que le Conseil régional lui a offerte, c'est pas merveilleux ? ». Et peu importe que ses films, mix pénibles entre les buddy movies hollywoodiens pour ados attardés et une sous-espèce d'Étienne Chatillez aux lourdes ficelles pour toute la famille, ne soient que de grosses bouses décérébrantes. Il est la preuve que le système fonctionne. Djamel Bensalah, chevalier ? C'est toute l'intégration à la française qui est récompensée.

Il sert ainsi de caution au cinéma français dans sa quête du label qualité « Diversité ». Malgré les singeries révolutionnaires et autres grands discours humanistes obligatoires entre deux réceptions et petit-fours au Festival de Cannes, les grandes actions en faveur des sans-papiers, les reportages larmoyants sur les pauvres gamins de banlieue et les affichages en croyance dans le vivre-ensemble, les appels au vote contre et à la résistance au programme fasciste du Front National, le petit monde du cinéma français reste aussi rose pâle qu'un programme économique du Parti Socialiste pour les élections présidentielles. Un monde unicolore et violemment consanguin (on ne fera pas ici la liste des fils et filles de au talent héréditaire, elle est trop longue), qui se reproduit à chaque échelon du milieu. On y est producteur de père en fils, réalisateur de père en fils, scénariste de père en fils, acteur de père en fils. Parfois, on échange les combinaisons (de mère en fils, de mère en fille, de père en fille), les rôles et les postes, mais on ne les partage qu'assez peu.

Ah ils sont beaux les documentaires de Bertrand Tavernier. Documentaires tournés en collaboration avec...son fils ! Ils sont beaux et émouvants les « De l'autre côté du périph » (1997), les « Pas d'Histoires! 12 regards sur le racisme au quotidien » ou les « Histoires de vies brisées : « les double peine » de Lyon ». Mais quand Bertrand a fini de caresser dans le sens du poil la tête de Fatoumata ou de Karim pour les besoins du documentaire, il s'en retourne gaiement au cinéma, toujours flanqué de son fils, tourner avec Isabelle Carré, Philippe Torreton ou Jacques Gamblin pendant que Fatoumata et Karim restent dans leur banlieue. De la même façon, si toute la profession a su encenser « Un prophète » de Jacques Audiard, ils ont été assez peu nombreux, les réalisateurs, à se battre pour embaucher Tahar Rahim, le personnage principal et en faire la vedette de leurs futurs projets.

C'est là que l'art de Djamel Bensalah intervient. Bensalah, lui, il tourne des films avec Fatoumata et Karim, pour Fatoumata et Karim. Permettant de consolider un apartheid social de fait entre le cinéma qui se veut populaire et donc forcément con et le cinéma d'auteur et intelligent réservé aux fils et filles de. Un apartheid que seuls Roschdy Zem, Jamel Debbouze ou Jean Dujardin arrivent aujourd'hui à contourner dans la durée. Deux mondes existent sans pour autant se cotoyer, destinés à deux publics différents, privant les enfants des classes populaires de l'accès au Beau et à l'Universalité (c'est tellement plus facile de confiner le public banlieusard à des thématiques banlieusardes bourrées de clichés). Réussir à maintenir cette réalité, ça méritait bien un hochet.

2 commentaires:

  1. Bien vu, sauf un petit bémol pour le cas de Tahar Rahim : depuis son film (à mon avis largement surestimé) avec le FILS DE Michel Audiard, il a eu un rôle significatif dans un navet international, "L'Aigle de la neuvième légion".

    Il aurait été intéressant de se pencher un peu plus avant sur le cas de "Big City", film qui montre entre autre une fillette dans un rôle de prostituée de saloon, habillée et maquillée en conséquence. Il y a là une tendance pédopornographique claire, à mon avis.

    RépondreSupprimer
  2. Bien dit ! Pour rappel (j'ai souvenir d'un billet du CGB là-dessus) : http://www.youtube.com/watch?v=WPWG06Tl8hg&feature=player_embedded#!

    RépondreSupprimer