22 janvier 2011

L’accès à la culture


Avant l’imprimerie ou toute autre facilité de diffusion, culture et connaissance étaient rares et d’autant plus précieuses qu’on ne les acquérait pas comme ça. On les héritait de sa famille, de sa tradition, de son patrimoine, d’une éducation aboutie et coûteuse, du voyage d’une vie... D’où un monde où l’on se distinguait de naissance. Aujourd’hui où le premier venu peut accéder à l’œuvre du génie pour peu qu’il s’en donne la peine, distinction et aristocratie spirituelles s’acquièrent par la volonté, avec sans doute plus de justice.

Mais tout n’est pas réglé pour autant ! Parce que le problème, ce n’est pas tant l’accès à la culture, que l’on présente systématiquement comme l’obstacle à l’épanouissement des masses. Le problème ce ne sont pas ces foules qui restent à l’entrée des musées sans pouvoir accéder. Le problème ce sont aussi ces gens qui accèdent à énormément de choses et qui en reviennent les mains vides malgré tout.

« Accéder » est une chose. Savoir en retirer un enseignement profitable en est une autre. Nos parents restaient des années vissés sur leur banc, en classe de grec, à rêver d’oliviers et de pierres antiques en potassant leur grammaire. Et on imagine l'illumination, lorsque le plus chanceux d'entre eux, bien des années plus tard, finissait par réaliser le voyage au pays d'Homère... Tandis que désormais, le moindre étudiant, à 22 ans, a déjà « fait » la Crète. La Crète ainsi qu’un ou deux autres pays, où il est allé en août faire la nouba : une petite semaine louée à quatre potes dans une chambre quelconque, à ne rien voir d’autre que le bar, la plage et le bikini de Murielle…

Ils sont nombreux à avoir un accès plein et libre à la culture. Telle cette jeune femme, l’été dernier, qui lançait à ses amis sur facebook un fantastique : « des idées de bons plans pour Rome (expos, clubs, etc.) ? Rome est certainement la ville au monde qui compte le plus de « bons plans » : culturels, touristiques, religieux… Un séjour n’y suffirait pas. Mais ce qu'elle demandait là, ce n'était évidemment pas le bon plan basilique Saint Pierre, fontaine de Trévise ou Colisée ; c'était plutôt un bar lounge design, une soirée électro sur un toit d’immeuble, ou une expo japonaise de tabourets fluo. Et la maline reviendra en estimant qu’elle a « fait » Rome.

Ainsi, ils sont nombreux, avec leur pass’ musées à 1 franc, leur IDTGV, leurs vols Ryan’air à 30 €, à avoir un accès plein, libre et total à la culture… mais un accès complètement vain ! Ils n’en connaissent pas mieux le monde. C’est sans doute que leur curiosité ne va pas au-delà d’une recherche du semblable ailleurs, du chez soi différent… De la découverte, oui, mais normée et standard. C’est sans doute aussi que la connaissance ne réside pas dans l’objet final (le livre, le CD, la destination), et encore moins dans la facilité, mais au contraire dans la marche tortueuse qu’on a faite pour y parvenir. L’attente, le questionnement, l’illusion, la recherche, font intimement partie du voyage. La curiosité, la sagacité, l’implication, sont ses alliés indispensables. « No hay caminos. Hay que caminar » !

17 commentaires:

  1. Mon Dieu.
    C'est aussi pertinent qu'un texte d'ILYS, et aussi drôle qu'un article de Finkelkraut.

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  2. Qui c'est Xix? Une version buggée de Xyr?

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  3. Jean Michel largué23 janvier 2011 à 02:10

    Vous n'y êtes pas et vous êtes méchants. Xix C'est une sorte de Didier Six qui entrerait en politique.

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  4. Tout à fait vrai.

    Le "syndrome de Florence" ne s'abat pas sur le cakor de base qui vient mater des culs bronzés et cluber au soleil. Ce n'est pas non plus qu'une simple curiosité ou une lubie d'un esprit dilettante, c'est un véritable amour, une réelle passion, une adhésion du coeur et de l'esprit, l'accomplissement d'une longue démarche de découverte.

    Ici encore, l'immédiateté a tué le désir.

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  5. On dit:
    "No hay caminos. Hay que caminar".

    Franchutes...

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  6. Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
    Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
    Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
    Vivre entre ses parents le reste de son âge !

    Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
    Fumer la cheminée, et en quelle saison
    Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
    Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

    Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
    Que des palais Romains le front audacieux,
    Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

    Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
    Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
    Et plus que l'air marin la doulceur angevine.

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  7. Bon puisqu'il faut développer un minimum:

    Il ne faut pas déjà confondre "accéder au tourisme", avec "accéder au savoir", postulat de départ soit malhonnête, soit ignorant.


    Ensuite, le "long chemin nécessaire d’accès au savoir" c'est un truc de pseudo élitistes qui ne comprennent jamais rien à rien.

    Ce qui est intéressant c'est que cette attitude est le penchant "droite réac" de l'attitude "tout se vaut" de gauche. Cette même tentative d'excuse de son incapacité flagrante à créer ou à vivre.

    Bref ce texte est très flagrant de cette mentalité de conservateur de musée typique que l'on trouve chez pas mal de "réacs". Ce faux respect du savoir millénaire car incapable d'en tirer quelque chose d'autre qu'une posture de faux esthète jargonneux à deux balles, comme si il fallait 15 ans de pèlerinage pour comprendre la composition d'un Michel Ange.


    Ensuite j'aimerais bien rencontrer tes amis qui vont à Rome pour visiter des bars lounge, dans la mesure où Rome, comme Paris, Londre ou bien Florence, sont des villes musées où l'on se fait chier comme des rats morts si l'ont est pas là pour visiter les vestiges de ce que fut autrefois l'Europe, mais simplement pour vivre.

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  8. @Bad joke : vous avez raison.

    @Anus sidérant : vous avez tort.

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  9. Comment ça ? Quinze ans pour trouver l'entrée d'un bar lounge ?!!!

    Bienvenue Xix...

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  10. Cher Anussidéral, si tu remplaçais "penchant" par "pendant", je serais certain d'avoir compris ton propos.
    J'émettrais une réserve : il est possible que Xix soit un créateur capable de dépasser la figure de l'esthète (en terme nietzschéen pour se la péter : un mec capable de faire un bon usage de l'histoire monumentale).
    Néanmoins quand on juge les autres on prend aussi le risque de ne juger que ses propres fantômes (qu'ils existent ailleurs que dans notre tête ou non n'est plus qu'accessoire). C'est pourquoi je suis plus volontiers ta critique plutôt véhémente que le texte.

    Mais plus important, une question pour l'auteur :
    Cher Xix, c'est quoi ce dessin rouge et bleu (et noir et blanc) qui illustre ton billet ?
    Et quand même bravo pour ce texte, qui, s'il ne me convainc pas moralement (mais qui ça intéresse ?), reste clair et donc agréable à lire.
    Bonne année au CGB.

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  11. Tout à fait d'accord avec Anusidéral. Ca s'appelle la culture antiquaire. Une civilisation dont le rapport au passé est mort et vitrifié. Une civilisation de vivants n'hésiteraient pas à réutiliser les pierres des "monuments historiques" pour en produire de nouveaux.

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  12. Je viens de relire le texte et je ne doute pas que le trip du bar lounge ect … est parti d’une observation de son entourage.

    Je ne sais pas si c’est aussi le cas pour l’auteur mais j’ai remarqué un nouveau truc sur le comportement des gens qui voyagent à l’étranger. Cela revient souvent dans les convers que j’ai avec mes contacts de divers pays : qu’ils aillent ou non dans les musées, ils vont visiter l’Apple store…
    Parfois ils filment même le truc et y’en a même qui filment le lit et la tv HD de leur chambre d’hôtel. Le tourisme a vraiment changé. En tout cas le trip de l’Apple store revient souvent dans ce que je peux écouter des voyages des gens.

    Voir Rome , Paris, Londres, l’apple store puis mourir…
    It’s a crazy world we’re living in!

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  13. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  14. « L’accès à la culture » n’est en aucun cas l’antithèse d’une certaine « muséification » de la culture dont vous parlez : ce sont 2 choses qui peuvent coexister, et elles le font très bien aujourd’hui. Et puis moi aussi j’ai lu la Seconde considération intempestive de Nietzsche sur l’histoire, alors la ramenez pas avec votre « culture antiquaire » et votre « histoire monumentale » ! @Jacquouille : les Talibans, civilisation de vivants s’il en est, n’ont pas hésité à « réutiliser les pierres de monuments historiques » à leur façon.

    Aussi, il ne s’agit pas de dire que la culture ne parle qu’à une catégorie de gens suffisamment savante. Ce n’est pas une question de « savoir », mais plutôt, comme le dit très bien Gotfried, de désir, de disposition d’esprit : la « culture » fonctionne si l’on a une idée en tête en l’abordant, elle demande à être fécondée par l’esprit qui y pénètre, par ses idées ou ses questions... Il ne faut peut-être pas 15 ans pour comprendre un Michel Ange, mais si l’on veut aller un peu plus loin que « oh c’est beau », mieux vaut ne pas arriver les mains dans les poches.

    C’est en ce sens que je dis que la culture ne réside pas dans l’objet, mais aussi dans l’œil de celui qui regarde. Si vous écoutez parler des Américains par exemple, ils diront que telle ville est agréable because « it has a lot of culture ». La « culture » comme une ressource, indéfinie, comme l’eau. « Il y a de la culture » : peu importe laquelle ; ce peut être un musée moderne, une réserve indienne ou une bibliothèque. C’est leur façon de parler mais c’est aussi une certaine vision quantitative, qui se retrouve dans les prérogatives de ceux qui parlent « d’accès à la culture ».

    @ Bad Joke : le dénominateur commun entre nos anecdotes est celui-ci : faute peut-être à la mondialisation et à la standardisation des habitudes et des produits, celui qui « part à l’étranger » cherche désormais à retrouver ce qui est familier plutôt que ce qui est vraiment étranger. Attitude néo-coloniale de retrouver son chez soi et son confort partout.

    @Luccio : le dessin rouge et bleu c’est la représentation d’une file d’attente (d’accès à la culture).

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  15. Suis-je le seul à se demander si l'avion fut une invention profitable ?

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  16. "Parce que le problème, ce n’est pas tant l’accès à la culture"
    Ah, un peu si quand même, car comment accéder au monument quand la place est livrée au touriste et au guide culturel ? Le tourisme est d'abord un terrorisme intellectuel. :-) Enjoy Xix.

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  17. Le goût pour la culture arrive, selon moi, avec un révolte intérieure et personnelle, quelque chose qui brûle en soi, une passion.
    C'est aussi le regret, presque la honte, d'avoir été dans l'ignorance et l'étonnement de se sentir plus fort et plus humain.
    Mais la passion pour la culture arrive aussi avec la prétention.

    Je pense aussi que la plupart des hommes ne pense qu'à "vivre" (voir commentaires précédents) et que d'autres veulent aller plus loin tout simplement.

    Certains sont aware d'autre pas.
    (Jean CLaude Van Damme)

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