14 juillet 2010

Procès du juge d'instruction : la parole à la défense

Pourquoi veut-on la peau du juge d'instruction ? Parce qu'outre l'affaire du "petit juge", le juge Lambert, et outre l'affaire Outreau, soit celle du juge Burgaud, le juge d'instruction fait surtout parler de lui à l'occasion de scandales politico financiers. On a beau amnistier, voire légaliser a posteriori les infractions, pour réaliser de fait la dépénalisation du droit des affaires (et celle des infractions politicofinancières), il n'est pas prêt d'être vidé de son contenu d'incriminations... La suppression du juge d'instruction, et la charge inquisitoriale entièrement dévolue aux procs, arrangerait donc bien des bidons. La séparation des pouvoirs chère à Montesquieu en prendrait un bon coup dans l'cul de plus. Le juge d'instruction est sur le banc des accusés ? Soit, la parole est à la défense.

Aucune puissance humaine, ni le roi, ni le garde des sceaux, ni le premier ministre ne peuvent empiéter sur le pouvoir d'un juge d'instruction, rien ne l'arrête, rien ne lui commande. C'est un souverain soumis uniquement à sa conscience et à la loi. En ce moment où philosophes, philanthropes et publicistes sont incessamment occupés à diminuer tous les pouvoirs sociaux , le droit conféré par nos lois aux juges d'instruction est devenu l'objet d'attaques d'autant plus terribles qu'elles sont presque justifiées par ce droit, qui, disons-le, est exorbitant. Néanmoins, pour tout homme sensé, ce pouvoir doit rester sans atteinte ; on peut, dans certains cas, en adoucir l'exercice par un large emploi de la caution ; mais la société, déjà bien ébranlée par l'inintelligence et par la faiblesse du jury (magistrature auguste et suprême qui ne devrait être confiée qu'à des notabilités élues), serait menacée de ruine si l'on brisait cette colonne qui soutient tout notre droit criminel.


Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, 1838.

Gotfried, Para. Vos propos reviennent à dire que la suppression du juge d’instruction est une anecdote, car, l’homme étant un loup pour l’homme, etc.
Je ne suis pas irrationnel, et vous êtes pile poil là où se situe réellement tout l’enjeu de la question de la suppression ou non du juge d’instruction.
L’intérêt de cette question se joue naturellement au niveau de l’opposition basique entre les postulats d’Hobbes et de Rousseau ayant trait à la nature de l’homme.
Pour Hobbes, on ne peut faire confiance à l’homme mais l’on peut en garantir quelque chose de positif via les Institutions. Pour Rousseau, c’est le contraire : l’Institution corrompt l’homme. Naturellement, je prends le débat dans les grandes largeurs, le Contrat social rousseauiste mettant en branle des Institutions, et sa pensée pouvant être résumée ainsi : « La liberté est la loi qu’on s’est prescrite ».
Le juge d’instruction est à la fois une Institution et un homme. Comme le rappelle Balzac, son pouvoir, assis sur une indépendance totale, en tout cas au niveau théorique (comme vous le rappelez, il est vulnérable, comme tout un chacun, aux pressions extérieures), justifie les critiques formulées à son encontre : tout ce pouvoir pour un seul homme, ce loup... Mais comme lui, et peut être fantasmé-je la fonction du juge d’instruction, je partage l’idée qu’il est le pilier de notre droit pénal et qu’on ne doit surtout pas y toucher. D’une part, il incarne à une intensité qui n’a pas d’autre équivalent dans le pouvoir judiciaire la séparation des pouvoirs. Un point pour Hobbes. D’autre part, il me semble que cette fonction véhicule une mythologie, par quelque chose de l'ordre de l'héritage, de la responsabilité morale, justement parce qu’elle recèle un grand pouvoir et une indépendance quasi absolue, propre à pétrir beau l'homme qui en assume la charge : deux points pour Hobbes, mais avec une résonnance rousseauiste ; l’homme est bon, et tout ce pouvoir concentré dans ses mains ne pose pas de problème a priori.
Souhaiter plus de contrepouvoirs et annoncer une Vième République, à l’instar de Montebourg, qui défend ce me semble l’institution du juge d’instruction, ne va nulle part à mon sens. Il y a peu, à l’occasion d’une interview parue dans le Monde au sujet de l’affaire Bettencourt, il a remis sa VIème sur le tapis, soit une Constitution moins présidentialiste. Mon avis sur la question est le même que le vôtre en l’occurrence : àquoiboniste ? La corruption, la pression, passeraient par la bande. D’où l’idée qu’aucun problème ne sera pas résolu par une réforme des Institutions. Il faut agir sur l’homme, directement et impérativement. L’homme est donc un loup ? Ça reviendrait pourtant à en conclure à une purification par l'institution. Eh bien non, tant on constate que le carriérisme et la vénalité des charges et des offices gangrène les Institutions : un point ferme pour Rousseau. Tant qu’on ne revient pas à certaines valeurs essentielles de probité, d'honnêteté, il ne sert à rien de faire des aménagements institutionnels. Les Institutions sont détournées de leur but, elles sortent bien trop souvent de leur lit. Ce n’est pas en réformant celles qui peuvent transcender l’homme, qu’on réussira à agir sur lui et les valeurs de probité et d’honnêteté. La fonction de Président sous la Vème a quelque chose à voir avec le juge d’instruction. De Gaulle avait ses défauts, mais le costume qu’il s’est taillé sur mesure par l’entremise d’un Debray, s’est révélé bien trop grand pour la quasi totalité de ses successeurs. Mais c’est qu’ils n’arrivent pas à se hisser au niveau. La solution est elle vraiment de niveler par le bas ? Je ne crois pas. On n’arrive décidément pas à retomber sur nos pieds…
Ma conclusion sur la question est que la fonction de juge d’instruction est à la fois hobbessienne et rousseauiste : parce que l’homme est naturellement responsable, cette Institution est viable, je dirais que l’homme bon ne vit que pour ce type d’Institutions, parce que cette Institution commande une grande responsabilité et une grande probité, elle modèle l’homme qui l’assume de manière positive. A ce titre, elle est d’une valeur inestimable. Pour en finir sur les réformes constitutionnelles, je dirais qu’on est passé à la Vième République dans le plus assourdissant des silences et qu’on est tout sauf allé dans le bon sens étant donné la corruptibilité épidermique qui caractérise l’homme de nos jours… Supprimer le juge d’instruction, c’est sûr, pour moi, ça serait en parfaite adéquation avec ce qui s’est produit jusqu’à présent, sous couvert notamment de rationalisation parlementaire : une régression démocratique totale. Et qu’on en vienne pas arguer que la fonction de juge d’instruction est par essence antidémocratique…

4 commentaires:

  1. Oui et non.
    C'est vrai que l'indépendance des juges d'instructions exclue toute possibilité de pression "hiérarchique" afin d'orienter dans un sens ou dans l'autre une enquête, et que vu les pratiques détestables qu'il y a de nos jours, cette habitude qu'on les "potes" de se nommer les uns les autres pour conclure à des non-lieu (il n'y a qu'à voir Sarkozy qui a déjà fait enterrer l'affaire Woerth-Bettencourt), la suppression de cette fonction marquerait le commencement d'une nouvelle ère d'immunité et d'impunité pour cette racaille politico-financière.

    Mais dans le même temps, il ne faut pas être trop dupe. La pression qui ne passe pas par la hiérarchie passe bien autrement: entre les menaces physiques sur la personne aussi bien que sur la famille, le chantage, la corruption, ou au travers de structures plus officieuses comme les loges ou le syndicat de la magistrature, peu d'hommes peuvent résister si le pouvoir veut vraiment obtenir le résultat qui l'arrange. Au pire, on trouve un criminel un "dingue", un "solitaire", on lui met une arme dans les mains, il abat le juge récalcitrant, et tout se conclue soit par la thèse du fou isolé, soit par sa mort mystérieuse avant ou pendant le procès. Ils en ont les moyens.

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  2. D'accord avec toi, Gotfried, la pression passe quand même d'une manière ou d'une autre. Cependant, et je dis pas que c'est ce que tu as dis, mais il ne faudrait pas en conclure qu'un fou isolé, c'est un complot à chaque coup. Faut faire attention, car on est une époque où tout devient suspicieux et dans les courants "antisystèmes", on a la paranoiä facile.

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  3. J'ai répondu dans le corps du texte.

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  4. Ah, merde, je n'avais pas vu, Lestat. Pris note et assez d'accord avec toi.

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