5 juin 2010

Gardés à vue


Nom ? Prénom ? Age ? Profession ? Interrogatoire classique. Votre identité est un tétragramme. Jean-Louis Masson n’est pas que sénateur. C’est aussi un flic. Il vient d’en faire la démonstration avec sa proposition de loi tendant à modifier l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, en facilitant « l’identification des éditeurs de sites de communication en ligne et en particulier des blogueurs professionnels et non professionnels. » Masson veut de la transparence sur le Net. Il part en guerre pour mettre à bas ces murs à meurtrières de l’anonymat, à l’abri desquels, les anarcoréac et autres monstres politiques hybrides parviennent à faire trembler la République à coup de rumeurs et de railleries. Péril en la demeure… Pendant ce temps, dans le 3ème pays le plus peuplé du monde (encore derrière la Chine et l’Inde), le jeune tyran Mark Zuckerberg (montagne de sucre en allemand et Dieu sait qu’il se sucre) vient de faire son mea culpa. Le despote, pas si virtuel que ça, vient de présenter ses excuses à ses 500 millions de sujets, pour la pratique institutionnelle sur son Facebook du non respect de la vie privée. Nous parlons bien de Facebook là, soit, du plus gros accélérateur de particules publicitaires du monde…
Guerre contre l’anonymat d’un côté, psychodrame concernant le respect de la vie privée de l’autre (après 4 ans d’ouverture au public), le monde traverse apparemment une crise d’identité.



Qui est-ce ? Je t’aide un peu, ses yeux sont bleus


La conjuration des pseudonymes
« Il faut des responsables ! » Jean-Louis Masson, sénateur de Moselle et jusqu’à présent illustre inconnu sur la scène politique, veut faire tomber des têtes : « Chaque blogueur doit assumer la responsabilité de ses propos. (…) Un blog est l’équivalent d’un journal dans la presse écrite. La réglementation applicable à la presse doit s’appliquer au blog. » Bien. Je veux ma carte de presse avec marqué Culturalgangbang au dos. Mais non Monsieur le sénateur, un blogueur n’est pas un journaliste. Bloguer n’est pas un métier. Il n’y a donc aucune raison d’assimiler le blogueur au journaliste, à moins de créer des "passerelles professionnalisantes", bien sûr, par la grâce de « personnes ressources » occupées à jouer du violon pendant que le bateau PôleEmploi coule à pic…


Un blogueur, une carte de presse


Un blogueur n’est pas non plus un corbeau. Non Monsieur le député, le pseudonymat n’assure en aucune manière une fantasmatique impunité au blogueur. D’une part, l’anonymat est relatif. D’autre part, une personnalité s’estimant diffamée dispose des moyens juridiques de droit commun pour obtenir réparation, comme l’atteste l’affaire des « Amis de Serge G. », dont le « directeur de publication » a dû, en plus de fermer son blog, indemniser symboliquement Serge Grouard, député-maire d’Orléans : 1 € de dommages et intérêts dans le cadre de l’article 1382, le principe de responsabilité de droit commun (« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. ») On imagine très bien dans les semaines qui viennent une multiplication de référés. On imagine très bien des condamnations pour simple délit d’injure, ou à caractère raciste, antisémite, homophobe ou autre. D’ailleurs, il suffit bien souvent de lire entre les lignes : le blogueur averti n’écrit pas en se pensant intouchable. Le droit français s’applique au blogueur. S’il passe entre les mailles malgré la constitution d’un délit, cela signifie juste que le blog ne dispose pas d’une exposition médiatique suffisante, ou alors que tout cela n’était pas si grave... Le droit français s’applique au blog, et bien plus : quel recours a un blogueur contre la décision unilatérale de son hébergeur de fermer son site pour des motifs du genre « d’atteintes présumées au droit d’auteur », ou « d’atteintes présumées à l’auguste personne de X ou Y ». Atteintes présumées, car non jugées. Non, le World Wide Web n’est pas le nouveau Wild Wild West. Et la responsabilité des journalistes ne suffit pas à expliquer leur unanime inanité… Le journaliste, ce salarié comme les autres, ou presque, fichu qu’il est d’un double salaire : la défiscalisation, un petit coup de pouce de l’Etat, certainement propre à garantir l'objectivité, l'indépendance du journaliste dans sa tâche de propagande… Bloguer n’est pas un métier. Le blogueur n’est pas encombré du joug hiérarchique salarial. Le blogueur a donc plus de liberté de parole. C’est ça l’os ?
Il semble bien, à la lecture de l’éditorial courroucé de la plate-forme d’hébergement Overblog : "Les blogueurs qui choisissent l'anonymat le font pour des raisons liées à leur vie professionnelle ou personnelle. Sans cette protection, beaucoup arrêteraient de bloguer et c'en serait fini du dynamisme de la blogosphère. » Le dynamisme de la blogosphère est menacé par la proposition Masson ? Autant dire que chaque blogueur quand il l’ouvre ne fait que brûler un cierge sur la tombe où gît la liberté de Pensée. Internet est bien un refuge, un palliatif, un dérivatif pour le vivant, qui n’a plus même la consolation de pouvoir trouver à râler au Café des Sports du coin, happé, concassé, compressé qu’il a été par l’hygiénisation des esprits, la promotion de la langue de bois et celle de la parole compassée. Sur le Net, on ne choisit pas l’anonymat, on ne choisit que son pseudonyme.
Tout ceci n’est qu’un psychodrame. Le blogueur n’est que la mouche du coche. Et les mouches pullulent toujours là où il y a de la merde et de la viande à pourrir.


Le plus gros indic de tous les temps


Facebook : un Sealand virtuel
L’identité du blogueur n’est pas disponible en rayon. Le blogueur s’individualise sur le Net par son pseudo. Un blog n’est pas un compte Facebook Monsieur Masson... Un réseau social, c’est la preuve qu’Internet peut combiner identification et individualisation.
Si Facebook était un pays, il serait le 3ème pays du monde le plus peuplé. Mais Facebook est bien un pays. C’est le premier pays produit par la mondialisation et ses nouvelles technologies. Facebook est une sorte de Sealand, et comme à Sealand, le putsch est en route : l’heure est à la contestation et à la farce du NoFacebookDay.
Le NoFacebookDay, c’est cette piètre tentative des facebookiens de réclamer protection pour leurs informations personnelles, leur vie privée. Chacun sait qu’un compte Facebook est par défaut accessible à tous. Personne n’a jamais été dupé sur ce point. Nous sommes donc confrontés à une masse d’individus qui ont librement choisi d’exposer leur vie, sans retenue, à tous les vents, ou en circonscrivant l’exhibition à un cercle d’amis choisis, qu’on imagine alors privilégiés (nous mettons délibérément de côté les hackers, crackers de comptes, et les techniciens du réseau social qui doivent avoir un accès libre à tous les comptes), qui tout à coup se scandalisent de cette transparence qui les attira tant. Maintenant que la population facebookienne a tout exhibé d’elle, dans une espèce d’élan lyrique narcissique, de rage pornographique d’affirmer son affirmation de soi, elle joue les jeunes vierges effarouchées…
Mark Zuckerberg a décidé de jouer la transparence contre la transparence ( !), en rendant public son échange d'e-mails avec Robert Scoble, un blogueur populaire (après que ce dernier l’y ait autorisé !), au sujet des modifications à apporter aux paramètres de contrôle de la vie privée… Sur Facebook, on discute de la vie privée rendue publique à rendre au privé de manière publique. Tout va bien au pays des publicitaires d’eux-mêmes, des annonceurs de leur propre Moi, au pays de ce simulacre d’agora, une agora jamais vue en termes de quantité d’individus et d’étendue territoriale.
Aucune grande figure historique dictatoriale n’aurait jamais imaginé de la part de sa population un tel acquiescement, un tel engouement, au renseignement total. On s’aperçoit tout à coup que Facebook est un piège ?


Code-barre humain : la traçabilité vous garantit de la viande comestible de qualité


Concession à perpétuité pour la liberté de Pensée
Il est évident que le monde est en pleine crise d’identité… Dans cet article, Maître Eolas affirme que nous sommes dans la rue plus anonymes que sur Internet fichés de nos pseudos. Ce n’est là qu’un mirage de l’esprit. Carte d’identité, passeport biométrique, numéro de sécurité sociale (une secrétaire de la Sécu vous localise en quelques clics), Carte Vitale (accès à votre état de santé), multiplication des caméras de vidéosurveillance, triangulation de vos déplacements quand vous accrochez les bornes relais des opérateurs de téléphonie mobile, publicité adressée et très précise dans votre BAL ( par exemple, via Mediapost, ancienne filiale de la Poste ; cette dernière fournissait des fichiers précis à sa filiale qui les revendait aux annonceurs : les facteurs sont des agents de renseignement de premier ordre ; autre exemple, à la suite d’un achat, le commerçant renseigne son fichier clients puis le vend), Pass Navigo, et pour finir en beauté : CB. Cette petite carte à puce, colifichet de chaque petit pion de notre société totale de consommation, qui sème inlassablement sur notre route ses petits cailloux blancs… Non, nous n’évoquerons pas ici les télescopes en orbite braqués sur nous. Le Système n’attend pas que le loup sorte du bois pour lui démontrer à quel point il est en pleine lumière, identifié et parfaitement localisé. Il suffit d’y penser. Or, personne n’y trouve rien à y redire, et bien pire, car nous ne jouons pas à Qui ne dit mot consent. Toutes ces traces sont tellement insignifiantes face à la vie facile, la vie pratique, et les économies, et l’écologie… On les réclame ! On ne pourrait plus faire sans !
Il n’y a pas d’innocents absolus, pourtant, les gens qui clament n’avoir rien à cacher sont légions. Ils le revendiquent à la moindre occasion et n’hésitent pas à passer à l’acte exhibitionniste. Les agneaux sacrificiels n’associent pas la transparence au fait d’être à découvert. Le camouflage n’est pas invisibilité, mais c’est toujours mieux que de s’offrir en pâture.


Bienvenue dans le monde de la téléréalité généralisée


On voudrait nous faire croire que la conquête du Net serait comparable aux Grandes découvertes ? On a rempli les blancs de la grande Terra Incognita en canonnant des noms. Il s’agirait aujourd’hui pour le pouvoir de reconquérir des territoires en nommant lui-même, en distribuant les concessions… Mais le Spectacle ne rêve pas que tout le monde ferme sa gueule. Il lui faut des pseudo pour son grand Marché de la Transparence. Le pseudo consacre l’exhibition, tandis que l’identification systématique progresse dans ses technologies. Il ne rêve que de voir tout le monde, si possible dans le rang sur Facebook, sinon, dans le recoupement de ses agences bureaucratiques. Il ne rêve que de savoir, tout. Et nous sommes bien tous connus de lui.

2 commentaires:

  1. Au CGB, on conseillera à notre lecteur qui voudrait s'inscrire sur Facebook, pour d'obscures raisons sexuelles, de niquer Supersucré en ayant un profil de ce genre... un profil qui fait bugger le marketing:

    "Mr Vatfairenk Foridur
    sexe féminin
    22 rue de la Triste Vue
    85632 Chombier les trois Godasses
    Aime se déguiser en poule
    Célibataire,
    cherche: un tournevis"

    Pour la photo, on choisira de préférence un babouin adulte ou un yucca.... et on attendra avec gourmandise de voir ce qu'en fera le Paron Zoukairbairg de Nucingen.

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  2. Maître Hélas22 juin 2010 à 13:06

    c'est pourtant vrai qu'il est pédant Maître Eolas.

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