22 août 2009

Les anges exterminateurs



Les anges exterminateurs

Le grand psychiatre n’était qu’un enfant quand ses parents ont été raflés à Bordeaux. Ils ont disparu à Auschwitz. Lui-même arrêté, il a réussi à s’enfuir. Soixante ans après, cette expérience continue de nourrir sa réflexion sur le nazisme. Et sur la nature humaine...

J’avais 6 ans et demi quand, une nuit, j’ai été arrêté par des inspecteurs français portant des lunettes noires. Les policiers m’ont poussé vers la porte où des soldats allemands constituaient avec leurs fusils une haie qui orientait vers des camions. La rue était barrée. Le silence et l’ordre régnaient. Un inspecteur a dit qu’il fallait m’éliminer parce que plus tard je deviendrais un ennemi de la société. J’ai appris cette nuit-là que j’étais destiné à commettre une faute qui méritait une mise à mort préventive.

Soixante ans plus tard, je pense que ce policier a dû éprouver un merveilleux sentiment d’ange exterminateur. En participant avec tant de compétence à une série de coups de filet qui ont tué 1645 adultes et 239 enfants sur les 240 raflés, il a obéi à un ordre moral.
On peut tuer des innocents sans éprouver de culpabilité quand l’obéissance est sacralisée par la culture. La soumission déresponsabilise le tueur puisqu’il ne fait que s’inscrire dans un système social où l’assujettissement permet le bon fonctionnement. Ce qui compte dans ce cas, c’est l’objectif et non pas la relation.
Et même le mot «obéissance» désigne des sentiments différents selon le contexte où il est prononcé. Quand deux personnes s’affrontent, celui qui obéit éprouve un sentiment de défaite. Tandis que le simple fait d’appartenir à un groupe ennoblit l’obéissance, puisque celui qui se soumet donne le pouvoir à sa communauté grâce à sa subordination. Quand l’âme du groupe, un dieu, un demi-dieu, un chef ou un philosophe, propose un merveilleux projet d’épuration, c’est au nom de l’humanité que la personne obéissante participe au crime contre l’humanité.

Dès l’âge de 6 ans, il m’a fallu comprendre que ce qui gouverne un groupe ne correspond pas toujours à ce qui gouverne les individus qui composent ce groupe. Chaque soir, dans la synagogue de Bordeaux transformée en prison, un soldat venait s’asseoir près de moi pour me montrer une photo de sa famille. Je ne comprenais pas ses mots mais je sentais clairement qu’il avait besoin de parler de ses proches et de son petit garçon qui, d’après ses gestes, avait mon âge et me ressemblait. Plus tard, j’ai vu ce gentil papa frapper à coups de crosse les enfants qui ne se dirigeaient pas assez vite vers les wagons à bestiaux de la gare Saint-Jean. Quand cet homme venait, le soir, me parler de son fils, il répondait à un besoin d’affection. Quand ce soldat poussait les enfants vers les wagons scellés, il obéissait à une représentation théorique qui récitait les slogans du demi-dieu que sa collectivité vénérait.
Depuis ce jour, la récitation des certitudes m’alarme et la vulnérabilité des hommes m’attendrit. Dès l’âge de 6 ans, il m’a fallu comprendre que mes geôliers se soumettaient avec ravissement, afin de participer à un triomphe.

Aujourd’hui, je pense que peu de personnalités sont capables d’échapper à une pression culturelle qui apporte tant de bénéfices: l’affection des siens, l’estime de soi, la griserie de l’appartenance et la noblesse d’un projet moral épurateur fondé sur une croyance en une surhumanité. C’est délicieux d’être gouverné par un demi-dieu, ça déresponsabilise, ça supprime l’angoisse.
Quand le «moi» est fragile, le «nous» sert de prothèse et les hommes d’appareil aiment grimper l’échelle des valeurs qui leur sont imposées. Leur facilité à apprendre les récitations, leur aptitude à faire marcher le système et leur art de la relation les placent rapidement en haut de l’échelle, quelle qu’elle soit. Ce qui compte pour eux et provoque leur bonheur, c’est de grimper. Le moindre doute briserait leur rêve d’une société épurée.
Seul un traître peut remettre en cause un si beau projet. Cette heureuse affiliation engage les personnalités conformistes dans une relation perverse, où l’emprise sur l’autre et sa disparition se programment au nom du Bien. Dans tout génocide, le tueur se sent innocent puisqu’il transcende le massacre et, en cas de défaite, explique qu’il n’a fait qu’obéir. Le soumis-triomphant ne se pense pas comme une personne, mais comme un rouage, ce qui provoque sa fierté.

A la Libération, de Gaulle a été accueilli au Grand Hôtel à Bordeaux. On m’a demandé de lui offrir un bouquet de fleurs. La nuit, un milicien s’est infiltré afin d’assassiner le Général. L’homme a été attrapé et lentement lynché, un coup de poing par-ci, un coup de crosse par-là. Il est mort, tué par mes libérateurs, des hommes que j’admirais. Ce jour-là, il m’a fallu comprendre que l’ambivalence est au cœur de la condition humaine et que la vengeance aussi est une soumission au passé.

Le processus qui permet d’exterminer un peuple sans éprouver de sentiment de crime est toujours le même.
En voici la recette: d’abord, il faut le désocialiser afin de le rendre vulnérable. Personne n’a protesté quand une des premières lois de Pétain a décrété la réquisition des vélos des avocats juifs. Ce n’est pas grave, entendait-on, tant qu’on respecte les personnes. Mais dans une société dépourvue d’essence et de voiture, un homme sans vélo ne peut plus travailler.
Puis il convient de parler de ce groupe humain en employant des métaphores animales: «des rats qui polluent notre société», «des vipères qui mordent le sein qui les a nourries»…
Quand on arrive enfin à la démarche administrative signée par un représentant du demi-dieu ou énoncée à la radio par un porte-parole du maître, il devient possible de mettre à mort ce peuple sans éprouver de culpabilité car «ce n’est pas un crime tout de même d’éliminer des rats»!

Surhommes dérisoires soumis à des demi-dieux absurdes, les nazis ont provoqué une déflagration mondiale, un massacre inouï pour une bagatelle idéologique, une théorie navrante. Ils ont cru à une représentation incroyable, ils ont récité des fables riquiqui où ils se sont donné un rôle grandiose. Le panurgisme de ces moutons intellectuels leur a offert une brève illusion de grandeur. Ils avaient besoin de haine pour légitimer et exalter leur programme délirant, car dans le quotidien c’est la banalité et la soumission qui caractérisaient leur projet.
Mais, n’y a-t-il que les nazis pour fonctionner ainsi?

Boris Cyrulnik, Le Nouvel Observateur, Semaine du jeudi 13 janvier 2005 - n°2097 - Dossier Auschwitz, p. 28

22 commentaires:

  1. Soit tu nous fais le coup du devoir de mémoire, que la nazismeuh c'est pas bien et le le ventre fécond de la bête immonde, etc etc. Mais je te sais trop subtile pour ça.

    Soit tu nous fais un parallèle entre le bourrage de crâne antisémite d'hier et le bourrage de crâne pro musulman et pro métissage d'aujourd'hui qui donne en effet aux idiots utiles qui le digèrent et le répètent le sentiment d'appartenir au bon, au bien et au beau. Avec pour objectif final la disparition de notre peuple.

    Admettons que je devine qui sont les victimes, qui sont les collabobo : mais c'est qui dans le rôle des nazis? Et puis les Malhoud et le Mamadou quel rôle ils ont. Celui du surhomme idéal? Ca va être dur pour eux de tenir le rôle et d'être crédibles bien longtemps.

    Les nazis eux ils les avaient sous la main leur race "maudite" et leur race bénie : le juif et l'aryen. Pas besoin de construire l'une et de déconstruite l'autre. Juste deux ou trois trucs pour forcer le trait genre Stürmer d'un côté et Riefenstahl ou Breker de l'autre.

    Le problème pour les pro-métissage c'est qu'à la différence des nazis ils n'ont ni l'un ni l'autre. Les malheureuses propagandes pro métissage sont dérisoires et ils n'arrivent pas franchement à faire du petit blanc un repoussoir.

    Il n'y a donc pas d'équivalent des nazis. Ou plutôt on a que des SA : les petites crouilles analphabètes des banlieues pourries. Y a pas de Rosenberg, de Ahnenerbe, de Reichsführer SS...

    Que des SA rien que des SA.

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  2. « Soit tu nous fais le coup du devoir de mémoire, que la nazismeuh c'est pas bien et le le ventre fécond de la bête immonde, etc etc. Mais je te sais trop subtile pour ça.

    Soit tu nous fais un parallèle entre le bourrage de crâne antisémite d'hier et le bourrage de crâne pro musulman et pro métissage d'aujourd'hui qui donne en effet aux idiots utiles qui le digèrent et le répètent le sentiment d'appartenir au bon, au bien et au beau. Avec pour objectif final la disparition de notre peuple. »

    Ni l’un, ni l’autre Todomodo.
    Ce qui m’intéresse dans ce texte, c’est l’explication de Cyrulnik sur la transcendance de la psychologie individuelle grâce à l’âme du groupe. Qu’un bourreau peut se sentir totalement innocent quand il a sentiment d’appartenir à un projet collectif épurateur.
    J’aurais dû écrire un petit liminaire. Scusi.

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  3. Pour rester dans l'ambiance de la führer des tropiques, je dirait même plus: des SA sans Röhm... et sans citron vert.

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  4. Désolé mais cette conception ne rentre absolument pas dans mon "système de pensée" de négrier ultra libéral.

    Les masses je sais pas ce que c'est et leur âme encore moins : chaque individu est entièrement libre donc s'il défile au pas de l'oie le groupe n'a rien à voir la dedans. C'est tout simplement qu'il aime marcher au pas de l'oie. S'il dénonce les Juifs c'est qu'il aime pas le Juifs.

    Même si ta théorie avait le début de l'ombre d'une réalité elle n'en serait pas moins nuisible socialement car elle ôte à l'individu toute responsabilité individuelle.

    Les SA de banlieues ne sont pas responsables car "niés dans leur identité individuelle, ils retrouvent dans la gang ou la communauté une identité que le groupe leur donne, donc c'est pas leur faute c'est la faute à la société qui les disctrimine".

    Tu vois mois aussi je peux le faire.

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  5. Vive Tonton Kroulik! <:oP

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  6. Babouche estivale23 août 2009 à 14:48

    Si les gens sont entièrement libres je propose la mort par insertion répétée de verge de cheval suivie de 20 ans de goulag sibérien pour Raphaël Glucksmann. Ca lui apprendra à choisir de faire une vie de pédé de merde.

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  7. C'est moi ou millie ne s'est pas fait fourrer depuis trop longtemps ? Ca a servi à rien cette pause internet ou quoi ? T'arrives même à dire des trucs d'un ton mignon à ton pseudo tortionnaire virtuel qui te dit de fermer ta gueule pour de bon sur son site ma vieille, c'est n'importe quoi...

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  8. Tu dis n'importe quoi, Babouche. S'il y'en a bien un qui est toujours resté courtois avec moi, c'est Kroulik. La dernière fois qu'il s'est adressé à moi ici, c'était pour exprimer son regret que je disparaisse.

    Cette rédaction comporte d'autres membres, naturellement, qui ne m'aiment pas. J'aimerais savoir par exemple qui m'a virée de l'équipe sans préavis il y a quelques temps. Comme ce ne sont vraiment pas des manière de gentleman je suis prête à parier que mon Tonton Kroulik n'y est pour rien.

    Cela dit j'avais vraiment juré de ne plus revenir, et j'aurais dû m'y tenir : reçu beaucoup trop de coups bas.

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  9. Je suis innocent tel l'agneau qui vient de naître, ma maman peut en témoigner: c'est moi le plus gentil de la bande (et na).

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  10. Babouche estivale24 août 2009 à 15:49

    Je parlais de l'autre sur l'autre blog en fait.

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  11. Millie : ils étaient bon au moins les coups bas?

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  12. @ Babouche : Tu parles de Denis l. ? Mais Ilys n'est pas "son" site, tu sais. Il n'est rien qu'un simple commentateur charismatique... Au même titre que moi. ^^

    @ TODOMODO : Parfois, oui.

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  13. @Minnie

    Je parlais de ton ancien amour, le fils de satan, tout ça tout ça, mais on ne va pas épiloguer là-dessus non ?
    (elle est fortiche la ribaude, elle vous désamorce à coups de ^^, tout un art)

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  14. @ Babouche :

    Non pas de basse flatterie envers Millie y a Ilys pour ça.

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  15. Ha ba je crois qu'ils viennent de lui couper la chique. En même temps qui n'a jamais eu envie de mickey minnie ?

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  16. "On peut tuer des innocents sans éprouver de culpabilité quand l’obéissance est sacralisée par la culture."

    En dehors des arguments démographiques et ceux de la "féminisation", cela expliquerait pourquoi il n'y a plus de ratonnades et autres poussées de violence meurtrière blanche et ciblée aujourd'hui alors qu'elles sont bien plus compréhensibles et légitimes qu'il y a vingt ou trente ans.

    Le petit blanc étant éduqué à la rebéllion dès son plus jeune age, sans religion ou tradition rigoriste pour contrebalancer cette tendance societale comme dans d'autres groupes ethnico-culturels il se retrouve seul face à sa conscience, sans arrêt.
    Donc inaction totale.
    Voir autodestruction.

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  17. @ babouche : pour remettre un peu de virilité dans cette société de tapettes je te propose qu'on aille ratonner - K - dans son foyer SONACOTRA et après une bonne caisse Kro on se fait Millie dans une cave.

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  18. Cool, un supplément de protéines animales pour mon p'tit déj...

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  19. @Todomodo

    Le temps d'acheter un protège-dents et quelques sparadraps et c'est ok (il faut savoir que le lapin de Pologne peut dépasser les 100 kilos comme on peut le voir dans cette précieuse scène du monde animal :
    http://image.jeuxvideo.com/images/sn/c/2/c200sn008.jpg ; le kangourou fait clairement sous lui). Faudra aussi penser à la coquille si on veut avoir une chance de pouvoir accomplir la deuxième moitié du plan. (le lapin est vicieux et vise bien)

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  20. Bah, ça c'était quand j'étais jeune et fort, maintenant je ne suis plus que l'ombre de moi-même... Je t'assure, je me sens un peu faible Panoramix...

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  21. @ TODOMODO : "It was around by the derelict casino that we came across Billyboy and his four droogs. They were getting ready to perform a little of the old in-out, in-out on a weepy young devotchka they had there."

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