21 novembre 2008

Krach, boom, hue

"Le capitalisme se meurt ? Mon oeil !" (titre modifié par Vendredi sans semonce).
Entendez-vous grincer les ressorts du paddock ? Crash, CAC, Krach ! La crise. Vous la sentez ? Elle vient de loin, de tout du fond de vos tréfonds… Mais vous tremblez ? Le trouble vous travaille ? L’anxiété ? Vous transpirez. Vous réclamez la transparence ! La voici votre vérité ! Pas la vérace, mais la vorace vraisemblable, la fantastique fantasmatique. Et cette vérité s’appelle le Prestige ! « Mesdamezémédames approchez ! Le capitalisme se meurt ! Entrez, entrez ! Venez contempler l’agonie dans ses yeux. Les vôtres… »


Pas un matin sans un hoquet, un haut-le-cœur boursier… Les médias sont en boucle depuis trois mois. Nous notons bien un certain relâchement dans le pathos de la part de nos volubiles... La crise est devenue pour eux une habitude. Pour nous tous, déjà une vieille rengaine. La loi de l’actualité...
La speakerine éco d’I-TV avait même le sourire ce matin. Normal : Vivendi et LVMH sont les deux seules valeurs du CACa à avoir grimpé aujourd’hui. Bonne nouvelle pour ses actuels et potentiels futurs employeurs ! Et bonne nouvelle pour ses collègues d’Universal et ses studios de propagande rampante… Les studios, décidément, qui n’ont pas le monopole du cinéma… La crise financière, c’est le grand film catastrophe de la rentrée, le grand Barnum de l’automne.


Nikkei la police


Au plus fort de la crise, tout le monde était sur le pont, à fond, en pleine « tempête », en plein « tsunami », en plein « séisme » : alarmistes politiques, prédicateurs économistes, secouristes philosophes, sauveteurs coco, tous à pérorer comme au zinc du troquet du coin... Qu’il était bon de lire Jacques Attali, au petit matin du 27 octobre, dans les pages du Parisien, en appeler, tout sourire sur la photo, à la « libération de la croissance française » ! Mais où diable est-elle séquestrée Jacques ? Où ? A Bogota, à Lhassa ? Par qui ? Mais qu’on inter-new-wave Florence Aubenas ! Qu’on fasse revenir de sa retraite Robert Ménard ! Que Bertrand Delanoë fasse dresser des affiches du visage de la crise sur le parvis de l’Hôtel de Ville, mais quel est-il, on trouvera ! Qu’Ingrid, toujours pas prix Nobel de la paix, mais très en sécurité aux frais du contribuable français, monte au créneau et prie Dieux et la Vierge pour sa libération !
Jacques Attali qui poursuivait, après avoir prédit la faillite de l’Islande, déjà acquise depuis un bon moment, par l’annonce de la reprise pour « dans un an ou dans dix »… Non, notre réaction à cette lecture ne peut trouver à se traduire par un simple point de suspension… D’autant que le grand prophète et médium et prestidigitateur, Attali le nain, continuait ainsi : « Cela dépend de la capacité à agir collectivement de façon socialement juste »… Que pouvait-il bien entendre par ce vomi communicationnel ? Il n’est qu’un mot qui vienne danser la gigue dans ma tête : sacrifice.


Taxe : laissez le charme agir


Et cela ne se vérifie-t-il pas dans l’actuelle actualité ? Les entreprises, ne licencient-elles pas à qui mieux mieux, sous prétexte de l’effondrement des marchés ? Aujourd’hui, dans cet exercice est d’ailleurs à l’honneur le secteur automobile, véritable baromètre médiatique de l’état économique d’un pays développé… Renault et PSA usent du chômage technique et parlent de plan de licenciements placés sous l’égide de « départs volontaires ».
Ce dont ne nous parlaient pas les journalistes au plus fort de la crise financière, c’était bien les inévitables suppressions d’emploi qui allaient en découler… Mettons que chaque chose en son temps. Il convient de ne pas griller les étapes en matière de construction du suspense et de montée en émotion. Il convenait tout d’abord de parler de l’arrivée du Léviathan et de ne surtout pas anticiper l’onde de choc... Après tout, il n’est pas dans les attributions du journaliste post-moderne de penser et réfléchir. Juste de décorer les dépêches AFP…


Les Banques et les PME d’abord !


Et le mal licenciement a naturellement commencé à la source de la catastrophe : dans le secteur bancaire. Bien évidemment, c’est une péripétie dans le scénario catastrophe : le docteur Frankenstein est puni par sa créature. Qui pour s’en émouvoir ? Personne. Personne n’allait pleurer sur le sort des traders et autres usuriers légaux, pardon banquiers, ces gens qui pratiquent le prêt à titre onéreux…
Les pécheurs sont punis et les boucs émissaires bien gardés, à vue...
Le secteur du BTP a suivi (180 000 suppressions d’emploi prévues dans les prochains mois selon Nexity). Aujourd’hui c’est l’automobile. Soit, trois secteurs porteurs, que nos politiques nous présentaient jusqu’alors comme des « niches d’emplois », le BTP ayant une particularité. Souvenez-vous de cette formule magique, élevée au rang de mantra jusqu’à ces dernières semaines : « Il y a 500 000 emplois non pourvus en France. » Un film catastrophe a toujours trois temps : l’avant, le pendant, l’après. Et le pendant a plusieurs phases : le Moloch est là et il a faim… Coucouche panier !


Wall street blues


L’angoisse est une peur qui n’arrive pas à se fixer sur un objet. C’est un grand levier politique, surtout dans une société de l’information. Le thème de l’insécurité fut notamment un bel exemple de pressurisation de l’angoisse. A en devenir un sentiment. Encore de beaux jours devant lui.
En l’occurrence, le levier a été actionné sur la base de l’épargne. Nombre d’épargnants ont donc tout naturellement commencé à flipper. Et le livret A a explosé les chiffres, conduisant notre gouvernement à venir faire main basse sur cette manne au profit des banques et des PME, ses bénéfices étant initialement dédiés au logement social. Ça s’appelle un hold up. Et il n’est surtout pas question de laisser se développer le parc immobilier quand celui-ci va fatalement être joué à la baisse. Une baisse de 10 % à Paris intra muros est d’ailleurs annoncée ; mais qui va pouvoir payer, les banquiers étant désormais réticents à accorder des prêts ? La question à 100 000 euros, le prix d’une chambre de bonne rive gauche. On mélange tout ? Non. Nous opérons des connexions, la baisse de l’immobilier jouant le rôle d’une potentielle lueur d’espoir dans le scénario catastrophe de la crise financière…
Tout s’est effondré, mais les économies des petits épargnants n’ont pas disparu. Pour les boursicoteurs, il reste la roulette, russe, en ces temps de montagnes, russes, et de Bérézina… Le tour est joué. Et tout le monde semble avoir oublié que la crise allait maintenant frapper fort : au cœur du réel des Ressources humaines.

Le réel : le retour


C’est le retour de « l’économie réelle » au premier plan médiatique. Un retour en forme de retraite : chômage technique, plans sociaux, fermetures d’usines… Du plomb dans l’aile, dans la cervelle même. On en refait les murs.
Le scénario catastrophe suit son cours. Mais pas de panique, car sont entrés en scène ses héros. Et y’a du lourd au casting : Sarkozy, bientôt Obama. Les politiques s’agitent, se démultiplient, prennent des airs graves et concernés, en brassent beaucoup, d’air… Le « laisser faire est fini » nous disent-ils. La fin d’une ère… La fin des temps ? Qu’un pas, soit une jolie petite leçon de Real Politic façon Kissinger. Kiss Kiss GangBang ! La politique n’est-elle jamais restée réaliste, elle ? Les marges budgétaires des ministères sont si étroites, nos culs de citoyens, de grands canyons… Les grands patrons mènent la danse. Ils sont le principe de réalité de la politique et ils ont besoin de flexibilité…


Rejoignez-nous : faites récession !


Nicolas Sarkozy, notre viril Président est donc monté au créneau, roulant des mécaniques, tel un commando d’élite descendant de son hélico à la corde raide. Ayant mis pied à terre, il a cash dégainé son plan de sauvetage, se vantant d’avoir prévu l’hécatombe dès le mois de septembre ! Après une hausse de 40 000 chômeurs au mois d’août… On se rappelle de Christine Lagarde dont la langue avait malencontreusement fourché quelques semaines plus tôt en ces termes : « La France est en récession »… Notre ministre de l’Economie s’était fait taper sur les doigts. Allons, allons Christine, les contraintes techniques trimestrielles de la définition n’étaient pas réunies. Surtout, il n’y a pas de place pour tout le monde dans les canots de sauvetage… La panique, ça se gère. Sous le pont Mirabeau coule la Seine… Et mon emploi, faut-il qu’il m’en souvienne ?!

Actifs : We want You(r job…)


Le plan de sauvetage de Sarkozy :
Les emplois de demain. Sont catapultés « emplois de demain », les métiers du numérique, le numérique qui en passant au passage, finira bien par achever notre code du travail en même temps qu’il a la peau du savoir, sous couvert de liberté, d’octroi d’une plus grande autonomie dans les postes, les métiers des services à la personne (en favorisant notamment le portage de la presse à domicile. A n’en pas douter un faux nouveau métier qui offrira des possibilités d’évolution professionnelle attrayantes), ou comment l’esclavage antique a été recyclé, mais de manière précaire, car après tout l’esclave de l’Antiquité était nourri, blanchi, logé et avait même le droit de s’aliéner une femme, selon une sémantique spécieuse de solidarité, les emplois verts en lien avec le Grenelle de l’Environnement, sur lesquels nous ne ferons aucun commentaire, tant l’écologie n’est qu’une mascarade, sorte de dégénérescence christianique, cryptofasciste, à la sauce laïque (le bon Dieu / La mère Nature). Vivement qu’on immatricule les vélos, qu’on puisse les verbaliser et imposer le monopole Vélib…
Le contrat aidé. Financé par l’actif imposable, qui devient si rare, sa précarité est carrément dans l’énoncé, révélée en creux par la sémantique solidaire. Une sorte d’aumône que ce contrat. De quoi vous faire se tenir tranquille ses bénéficiaires, principalement les jeunes. 100 000 contrats sont annoncés en plus des 230 000 déjà inscrits dans le projet de loi de finances 2009. Cela pourrait coûter entre 150 et 200 millions d'euros supplémentaires à l'Etat, une goutte d’eau comparée au recavage des banques et des entreprises à hauteur de 400 milliards. Notons qu’un bilan systématique sera fait deux mois avant la fin du contrat pour "donner le maximum de chances d'obtenir à la sortie un emploi dans une entreprise"… Une sorte d’emploi jeune sans lendemain dans lequel la technique du bilan jouera à plein son rôle déculpabilisant pour le cocontractant du bon côté du salariat…
Le contrat de Transition professionnelle. Egalement financé par le contribuable, le CTP concerne les entreprises de moins de 1 000 salariés. Actuellement en test sur sept sites, concernant 4 000 bénéficiaires, il permet aux licenciés économiques de percevoir 80 % de leur salaire (pour un chômeur classique : la moitié du brut, soit à peu près deux tiers du net) pendant un an contre des preuves d’activité dans leur recherche d’emploi. Un hypertraitement, temporaire et oppressif, le temps que l’hypervictime redevienne anodine et dénuée d’intérêt. Il donne « de bons résultats » selon Nicolas Sarkozy, et sera étendu "aux bassins d'emplois qui seront les plus touchés par des difficultés économiques". Ben oui : va y’en avoir besoin. Les licenciements sont acquis.
Faciliter le recours au CDD. « En phase de ralentissement, un CDD en plus c'est un chômeur en moins", nous a gravement expliqué notre chef d’Etat, argument venant à l’appui de sa proposition aux partenaires sociaux d’envisager la possibilité pour les petites entreprises de recourir au CDD sans limite. Le CDD à usage illimité, c’est la flexisécurité à usage unique pour le patronat. Le Medef a d’ailleurs salué la « volonté du président de la République de lever les tabous, en particulier à propos du travail le dimanche et de l'utilisation des CDD pour stimuler l'économie. » Le tabou du CDD ? Mais en pratique, les entreprises en usent au maximum, les glossateurs des RH érigeant la conséquence en cause, parlant de génération Y, mobile, transverse, multi compétente, aimant la liberté, préférant donc s’engager à durée déterminée. Génération kleenex…
Accélérer la fusion Unedic / ANPE. Le nouvel opérateur public du service de l'emploi, Pôle emploi, voici une engeance de taille en perspective… A en faire se retourner dans sa tombe un Foucault Michel. La pression va augmenter. L’oppression également, notamment grâce au critère subjectif d’offre raisonnable d’emploi. Tout est donc mis en place pour soutenir une stratégie de turnover de l’emploi, y compris au niveau institutionnel. Les conseillers ANPE seront toujours plus poussés à la performance. Une véritable boucherie en perspective… Jusqu’à épuisement des ressources ?

Tous ces outils offriront la flexibilité aux patrons sur un plateau, soit la capacité de s’adapter en instantané aux lois du marché mondialisé.
Ajoutons à ces mesures l’accent mis sur l’orientation (au collège, le surplus d’orientation est actuellement assuré par des profs et non des professionnels du marché de l’emploi) et la formation, notamment en alternance, outil puissant de conditionnement de la chair à canon patronale, fossoyeur des connaissances et capacités au profit des compétences. Vous avez dit darwinisme économique ?
Parlons également du Revenu de solidarité active, créé sur le triste constant que les chômeurs aux minima sociaux ne veulent pas reprendre le travail car cela leur fait perdre de l’argent. Ce super assistanat prend le problème à l’envers en consolidant la figure du chômeur parasite au lieu de prendre des mesures énergiques pour valoriser le travail. Financé par le contribuable, il sera à n’en pas douter un outil pointe pour mener la stratégie de turnover des entreprises, soit la stratégie globale de précarisation de l’emploi. Tout cela sous couvert d’arme anti-pauvreté. Je vous resserre un petit de Hirsch ?

Le capitalisme n’est pas en train de mourir. Les bulles financières sont au marché ce que la radioactivité est à l’énergie… Le capitalisme opère sa mise à jour. La vague de précarisation de l’emploi va être sans précédent. Et elle ne soulèvera pas de contestation. Elle sera vécue naturellement grâce à la super fiction persuasive du krach.
Faire reculer le chômage à 5 % à la fin de son mandat : "très compromise est de Nicolas Sarkozy la promesse" nous dit Maître Yoda. Pas évident. Mais maintenant vous en devinez le prix.

6 commentaires:

  1. Très belle analyse de la "crise financière" et ses conséquences futures. Reste que je m'interroge sur le sens de ces quelques mots dans la conclusion: "super fiction persuasive du Krach".

    Alors ce Krach, réel ou imaginaire d'après vous ?

    Je n'ose dès lors, parler de solutions...

    Clarence, cocktail Molochtov

    RépondreSupprimer
  2. Le Krach est bien réel, mais il est voulu et piloté par la finance qui plane loin au dessus de nous. Pour ceux que ca intéresse il suffit de suivre l'actualité US et de reconstituer un minimum le puzzle (5 pieces grand max).

    Le mot fiction est mal choisi, en tout cas.

    RépondreSupprimer
  3. Il paraît qu'Amy Whinehouse elle en prend... du krach.


    (dsl, euthanasiez-moi...)

    RépondreSupprimer
  4. Même si l'on comprend parfaitement l'idée de scénario planifié, je reste à mon premier sentiment, le même que notre commentateur anonyme: Le mot fiction est ici mal choisi. Mais je pinaille, cela n'enlève rien aux qualités du texte de Lé(s)tat.

    Et pour Paracelse, un petit cadeau:

    http://www.edito-matieres-premieres.fr/0576/metaux-precieux/or/banques-centrales-metaux-carry-trade.html

    Clarence, spéculateur

    RépondreSupprimer
  5. Bravo le plan Sarkozy!

    Ce n'est qu'une pâle adaptation de la mirifique Stratégie de Lisbonne et de son objectif risible de tendre vers "l'économie de la connaissance", la première évaluation des CTP est plus mitigée (encore plus que pour le RSA)...

    Sarkozy ne veut pas entendre parler de protectionnisme, de politique industrielle? Tonton Guaino pourquoi tu tousses?

    RépondreSupprimer