7 mai 2008

LES ETUDIANTS ET LE GAUCHISME

« …un marxiste doit, pour juger une situation, se fonder sur le réel et non sur le possible »
« Fonder une tactique prolétarienne sur des désirs, c’est la tuer. »
(Lénine, Œuvres, t. 24)

« le bolchevisme s’est constitué, a grandi et s’est aguerri au cours d’une lutte de longues années contre l’esprit révolutionnariste petit-bourgeois qui frise l’anarchisme ou fait quelque emprunt et qui, pour tout ce qui est essentiel, déroge aux conditions et aux nécessités d’une lutte de classe prolétarienne conséquente »
(Lénine, La maladie infantile du communisme, 1920)


Voici à suivre des extraits d’un livre de Claude Prévost probablement difficile à trouver aujourd’hui et qui s’intitule « les étudiants et le gauchisme ».
L’auteur, membre de l’UEC (Union des Etudiants Communistes) s’intéresse à l’opportunisme de gauche qui s’est étendu, dans les années 60, au milieu étudiant.
Le livre, publié peu après les évènements de mai 68, analyse en profondeur le gauchisme étudiant dans tout ce qu’il a de préjudiciable pour la lutte prolétarienne. Prévost prend au sérieux cette contestation globale de 68 dans le sens où elle a représenté une étape nouvelle dans la lutte des classes. En revanche il n’est pas très tendre envers les forces gauchistes qui ont alors entravé le développement du combat révolutionnaire. Cependant, il ne rejette pas tout en bloc et va même jusqu’à trouver dans cette révolte étudiante des ferments intéressants pour les luttes à venir, à condition bien évidemment de débarrasser un « noyau sain » du délire spontanéiste et de la pose anarchisante.

Claude Prévost, décédé en 1992, a notamment été critique littéraire à l’Humanité.

La lecture de l’ouvrage me conforte dans l’idée qu’en 68, grâce à la complicité des idiots utiles que furent les anarcho-spontanéistes et autres libertaires gauchisant, il s’est agi pour le pouvoir bourgeois de devancer la révolution prolétarienne pour précisément ne plus à l’avenir la rendre possible.

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Mais ces derniers [les étudiants] ont tort d’oublier que lorsqu’elle affronte la classe ouvrière, la violence policière franchit une étape supplémentaire : c’est à Sochaux et non au Quartier Latin que la police a ouvert le feu.

[…] redonner à certains le sens des proportions, pour souligner au sein de quelle classe sociale le grand capitalisme voit ses ennemis irréductibles.

Ne connaissant pas le prolétariat réel, une partie importante des étudiants s’en forge un selon ses désirs. Elle cherche une classe ouvrière qui lui renvoie l’image de sa condition étudiante et, ne la trouvant pas, accuse la classe ouvrière de dénaturer son rêve. Les idéologues anti-communistes prennent alors le relais.

Ensuite la relation établie entre le savoir et le pouvoir part d’un fait objectif […] : il y a un lien évident du savoir au privilège et le savoir apporte une légitimation supplémentaire au pouvoir. En un sens, il est vrai que plus on est éduqué, plus on est puissant. A condition d’être déjà puissant.

[…] qu’on voie surtout dans la société les « relations autoritaires », ce qui occulte la réalité, c’est-à-dire les rapports d’exploitation.

Mais même s’ils ont lutté par grandes masses, la plupart des étudiants de gauche, malgré leurs aspirations à l’alliance avec les ouvriers, n’ont pas rompu avec l’individualisme : au mieux, ils ont substitué, à ce qu’on pourrait appeler par redondance « un individualisme individuel », un « individualisme de groupe » dont l’anarchisme fut souvent l’expression.

C’est pourquoi la révolte [étudiante] reste frappée du sceau des privilèges acquis. Par exemple, la vindicte contre la société de consommation exprime une attitude de privilégié de la consommation.
[…]
L’ascétisme est une variante de la morale aristocratique, car pour renoncer à avoir, il faut posséder et posséder beaucoup.

Les graffitis, le vandalisme n’indignent le pouvoir que parce qu’il croit y déceler l’annonce d’une rupture des fils de la bourgeoisie avec leur classe. Encore cette indignation est-elle plus feinte que réelle. D’une part, elle est employée, orchestrée, à des fins politiques évidentes, d’autre part, la couche dirigeante est suffisamment habituée au gaspillage pour que ces potlaches de voitures ou de matériel de bureau ne l’affectent pas outre mesure.
En revanche ces accès de destruction rituelle scandalisent les couches moyennes laborieuses, notamment les paysans, qui savent le prix des choses, et la classe ouvrière qui sait que toute marchandise est le produit d’un travail.
[…]
C’est justement parce qu’ils n’idolâtrent pas la marchandise qu’ils ne voient aucune raison de tourner contre elle une fureur sacrée.
[…]
Les iconoclastes restent des croyants. Dans le cas présent, ils se comportent comme le seigneur féodal qui conduit la chasse à courre à travers les blés du manant. Car lorsqu’on regarde deux photos juxtaposées, l’une du Centre Censier après l’occupation, l’autre d’un atelier Renault pendant la grève on est frappé du contraste : dévastation d’un côté, ordre impeccable de l’autre, au point que selon le vœu exprimé par le vieux leader révolutionnaire qu’est Benoît Frachon il n’a pas dû, à la reprise, manquer « un seul boulon ». D’un côté l’arbitraire destructeur de privilégiés qui se conduisent en propriétaires de droit divin d’une richesse constituée grâce au travail de la classe ouvrière, de l’autre une classe qui veille au patrimoine national qu’elle rêve de remettre à la nation, parce qu’elle est authentiquement révolutionnaire.

Roger Vailland, dans Le Surréalisme contre la Révolution […] rappelle qu’au sortir des violences des années vingt, le fils de petit-bourgeois, n’ayant d’autre alternative que végéter ou se mettre au service du grand capital, préfère dans beaucoup de cas vivre en marge et cultiver la dérision. Ce n’est pas un hasard si un familier de Cohn-Bendit loue son humour et « son sens de la dérision ». (1)

Le goût du scandale, dont on ne peut nier la fécondité poétique à l’époque du premier surréalisme, tend à devenir de plus en plus un passe-temps de jeunes oisifs, un procédé commode de défoulement. Un militant du « 22 mars » explique qu’une assemblée de son mouvement a passé une heure à faire « Meuh » et il commente (à mon avis judicieusement) :
« Eh bien, il y avait des types qui avaient envie de se défouler, d’introduire le non-sens et on l’a introduit pendant une heure (2) »
Je n’éprouve aucune indignation moralisante à l’égard de ce comportement, inutile de le dire, mais je suis sceptique quant à ses vertus politiques. Le chahut est le témoignage d’une soumission à un rituel ; le « chahuteur » essaie de nier magiquement l’autorité, mais il n’en menace pas les fondements. Là encore le sacrilège est sacralisant. Un commentateur admiratif rappelle les « débuts » de Cohn-Bendit :
« Chacun se souvient de ses facéties en 1967, à Nanterre, quand il faisait « cocorico » en plein cours, pour démontrer l’absurdité de ce qu’on lui enseignait. (3) »
Le panégyriste ajoute que du « chahuteur » au « théoricien » d’aujourd’hui un grand chemin a été parcouru. Moins qu’il me semble, si l’on se rappelle que le chahut est la conduite typique de l’irresponsable. Conduite faussement libérée et libératrice, conduite serve.

Pour Hegel comme pour le marxisme, travail et culture sont liés. Pour des fils de maîtres, ce lien n’est pas immédiat : ainsi s’expliquent peut-être leurs multiples refus, dont le moindre n’est pas, pour beaucoup, le « refus de toute idéologie », refus qui en vérité les ouvre largement à l’idéologie dominante et à ses sous-produits […].

Mais le fait est là : quand on parle à des étudiants gauchistes d’un guet-apens et d’un piège, ils restent incrédules. Ils ne connaissent pas par exemple, le rôle que la provocation a joué dans l’histoire du mouvement ouvrier, ni à quel point la police avait imprégné tout le mouvement anarchiste à la fin du siècle dernier. Ils ont peine à croire au machiavélisme et on serait presque tenté de dire que ce sentiment les honore. Mais il faut aller plus loin. Issus de la bourgeoisie, ils ont tout naturellement tendance à minimiser la « noirceur » de leur classe d’origine. Leur révolte antipaternelle n’est pas si forte qu’ils acceptent l’idée que, pour réprimer le mouvement ouvrier, leurs pères soient prêts à tout

Ce n’est pas leur terrorisme ingénu d’enfant qui trépigne parce qu’on lui a cassé son jouet qui nous détournera de nos tâches, en particulier de celle qui consiste à les gagner à la lutte commune qu’il leur faudra bien reprendre, une fois calmés.

Enfin quand il [Cohn-Bendit] rejette le drapeau national, il nuit à l’intérêt de la classe ouvrière. Il s’agit là d’une question tout à fait fondamentale. La classe ouvrière en elle-même et dans ses combats représente l’intérêt national. Elle ne laisse pas la grande bourgeoisie confisquer le drapeau tricolore.

Marx et Lénine nous ont mis en garde, maintes et maintes fois, contre la propension de la petite-bourgeoisie, spécialement la petite-bourgeoisie intellectuelle, à la phrase et à la pose ultra-révolutionnaires, anarchisantes et pseudo-romantiques.

Claude Prévost, Les étudiants et le gauchisme, Editions Sociales, 1969.

(1)Remarque personnelle : on peut dire qu’aujourd’hui il est possible de concilier tous ces statuts : se mettre au service du grand capital en étant payé pour cultiver la dérision et ceci tout en arborant à peu de frais le costume du marginal. Il suffit de regarder ici du côté de tous les faux-rebelles rémunérés par le pouvoir, notamment du côté de tous les experts de la dérision façon Canal Plus ou Charlie Hebdo – soupapes de sécurité dans un simulacre de démocratie.
(2) Ce n’est qu’un début, enquête dirigée par Philippe Labro pour la collection Edition spéciale (Denoël, 1968)
(3) Ibid

6 commentaires:

  1. Stricte et raide leçon de puritanisme. Je ne suis pas d'accord, même s'il a probablement raison.
    Ceci dit, dans une perspective révolutionnaire, et dans une époque où la petite bourgeoisie est devenue numériquement plus importante que le prolétariat ouvrier, ce que Marx et Lénine ont dit est-il toujours aussi vrai? Autrement dit, quel intérêt de glorifier le prolétariat ouvrier et de ne compter que sur lui, alors qu'il s'amenuise, avant même que la mondialisation vide complètement ce pays de toute usine? (j'ai bien dit "dans une perspective révolutionnaire")

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  2. Ah vivement la révolution que j'évacue mes pulsions criminelles !

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  3. A la grande révolution les 3/4 des blabalteurs du net seront enfermés chez eux pendant que moi et mes amis du 11eme choc marcherons joyeusement sur paris ! La france aux bronzés !!!

    Moi j'sais moi.

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  4. > dans une époque où la petite bourgeoisie est devenue numériquement plus importante que le prolétariat ouvrier

    c'est l'esprit petit bourgeois qui a gagné les couches prolétariennes et les couches moyennes. Une forme d'apolitisme instillée par la télécratie qui pousse le monde ouvrier vers la fascination béate pour les vedettes du show-bizz et pour finir vers une forme de servitude volontaire. (sans parler de la substitution de la lutte des classes par toutes les autres escroqueries - lutte des sexes, antiracisme, lobbying gay...)

    Numériquement le prolétariat existe bel et bien : + de 15 % de la population active payée sur la base du SMIC / 6 millions d'ouvriers (1/4 de la pop active). C'est pas rien.
    Idéologiquement, les nouvelles générations de travailleurs biberonnés avec les robinets à merde que sont les médias bourgeois et urbanisés jusqu'à la moelle ont effectivement tendance à faire baisser le niveau de conscience de classe.

    D'où le PS qui désormais abandonne toute idée de révolution et officialise son tapin sur les trottoirs bobos.

    Seulement si tu lorgnes du côté des campagnes françaises tu verras qu'il y a encore pas mal de gens à qui on le fait pas le coup du gauchisme pour classes moyennes.
    Qu'ils aillent y trainer les gommeux du MJS et de la LCR dans certains villages, ils verront comment ils seront reçus.

    Faire croire à la disparition du monde ouvrier, c'est encore un truc de la propagande bourgeoise, au cas où certains s'y sentiraient encore affiliés.

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  5. toi et ta loghorrée marxiste digne d'un post-ado atardé, vous voudriez pas justement y faire un tour à la campagne ? Moi & mes potes on compte y monter une foire ambulante, pour exhiber des rebus citadins : de la caille en survet', du bobo qu'a mal à son codevi, le tout couplé au marxiste de salon : pure trinité !

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  6. Ne nous énervons pas comme ça monsieur. Un peu de tenue, discutons entre hommes sans verser dans une fébrilité "post-ado". Avec mon couteau entre les dents je n'ai tué personne, enfin pas encore. Je suis tout prêt à vous lire pour déjà comprendre en quoi je pratique un marxisme digne d'un post-ado (pourquoi pas ado tout court d'ailleurs ?). J'avoue ne pas avoir lu in extenso Le Capital ni être très savant en matière de marxisme. Je vous demande donc un peu d'indulgence et me pardonner si par ce billet j'ai déformé ou mal compris certains éléments de la théorie.

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