29 septembre 2007

Sebald, Beyle et Kafka

W. G. Sebald décrit dans "Vertiges" quelques moments choisis dans la vie de Stendhal : le passage du Grand-Saint-Bernard en mai 1800 avec l'armée de Marmont, sa découverte de la musique de Cimarosa au théâtre de d'Ivrea, son affectation au 6ème régiment de Dragons. Parmi ces courts aperçus, il en est un, étrange et qui mêle réalités, fiction littéraire et citations.

Sebald rapporte que dans "De l'Amour", Stendhal prétend avoir fait au départ de Bologne un voyage vers le Lac de Garde en compagnie d'une certaine Mme Gherardi, personnage mystérieux voire fantomatique.



Arrivés sur les bords du lac, les deux voyageurs prirent un bateau qui les conduisit au port de Riva "où deux garçonnets assis sur le quai jouaient déjà aux dés. Beyle attira l'attention de Mme Gherardi sur une vieille et lourde embarcation dont les voiles brun-jaune pendaient au grand mât cassé dans son tiers supérieur ; elle avait apparemment accosté depuis peu et en descendaient maintenant deux hommes en redingote foncée à boutons d'argent portant à terre une civière où, sous un grand châle à franges et motif floral, était visiblement allongée une forme humaine. Mme Gherardi fut si desagréablement impressionnée par cette scène qu'elle insista pour quitter Riva sans retard".

Ceux qui ont eu la chance de ne pas appartenir à la génération porno-sentimentale mitterrandienne et qui sont passés au travers de la réforme Jospin de 89, auront reconnu dans la scène des enfants et du corps qu'on débarque du bateau, une claire allusion au "Chasseur Gracchus" de Kafka. Un de ses rares récits, lumineux, coloré et paien et qui pour une fois ne donne pas le sentiment de se dérouler dans l'atmosphère poisseuse d'un Shtetl de Biélorusses consanguins.

Sebald cite Stendhal qui semble citer Kafka qui cite lui-même la légende du Hollandais volant.
Quelques lignes plus loin, Sebald décrit Stendhal offrant à Mme Gherardi la fameuse petite branche recouverte de cristaux de sels dont il tirera sa théorie de la cristallisation amoureuse que connaissait tout élève de première moyennement cultivé d'avant 1980.

Ainsi cette petite branche cristallisée devient elle-même comme le symbole et l'aboutissement de tout ce récit qui rassemble et combine en lui-même des réfèrences littéraires qui jouent entre elles et se répondent comme la lumière entre les cristaux. Et Mme Gherardi la parfaite image de cette génération de crétins qui ne reconnaissent plus rien.

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