21 avril 2007

« L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est la liberté »

Finis les temps de non-parole et les débats complices entre amis : jusqu’à dimanche soir, la télévision cesse de diffuser toute propagande officielle. Elle se contente donc de nous servir des séries policières ou hospitalières américaines, des jeux d’argent, des magazines pipoles ou automobiles, du foot, des filles en maillot de bain qui bougent leur arrière-train sur de la musique, Alain Minc sur Direct 8 pour débander, du pathos en gros plan, des documentaires sur notre planète menacée, Franz-Olivier Giesbert sur France 5 pour vraiment se sentir menacé, des téléfilms dramatiquement dramatiques, des reportages sur le terrorisme islamiste, les sérial-killers ou la pédophilie, Très chasse très pêche, Michèle Alliot-Marie sur LCP aujourd’hui, le directeur du CRIF demain, sur LCP toujours Abstention zéro l’émission stalinienne qui vous ordonne de voter et vous dit pour qui, sans bien sûr parler des journaux télévisés qui vont émailler de leur objectivité partiale ce week-end préélectoral.
Ainsi, en cette veille de scrutin, afin de pas ne déroger pas à cette impartialité de rigueur et pour être tout à fait dans l’esprit citoyen de la chaîne LCP, mon programme se propose de vous livrer quelques extraits du Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau, ouvrage publié en 1762 et qu’en certaines occasions, il est toujours bon de reparcourir.

LIVRE I –Chapitre 7
(« Du Souverain ») : En effet chaque individu peut comme homme avoir une volonté particulière contraire ou dissemblable à la volonté générale qu'il a comme citoyen. Son intérêt particulier peut lui parler tout autrement que l'intérêt commun; son existence absolue et naturellement indépendante peut lui faire envisager ce qu'il doit à la cause commune comme une contribution gratuite, dont la perte sera moins nuisible aux autres que le payement n'en est onéreux pour lui, et regardant la personne morale qui constitue l'Etat comme un être de raison parce que ce n'est pas un homme, il jouirait des droits du citoyen sans vouloir remplir les devoirs du sujet, injustice dont le progrès causerait la ruine du corps politique.
[…] quiconque refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps: ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera d'être libre […]

LIVRE I –Chapitre 9
(« Du domaine réel ») : […] le droit que chaque particulier a sur son propre fond est toujours subordonné au droit que la communauté a sur tous, sans quoi il n'y aurait ni solidité dans le lien social, ni force réelle dans l'exercice de la souveraineté.

LIVRE II –Chapitre 3
(« Si la volonté générale peut errer ») : Mais quand il se fait des brigues, des associations partielles aux dépens de la grande, la volonté de chacune de ces associations devient générale par rapport à ses membres, et particulière par rapport à l'Etat; on peut dire alors qu'il n'y a plus autant de votants que d'hommes, mais seulement autant que d'associations. […]Enfin quand une de ces associations est si grande qu'elle l'emporte sur toutes les autres, vous n'avez plus pour résultat une somme de petites différences, mais une différence unique; alors il n'y a plus de volonté générale, et l'avis qui l'emporte n'est qu'un avis particulier.

LIVRE II- Chapitre 6
(« De la loi ») : De lui-même le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même il ne le voit pas toujours. La volonté générale est toujours droite, mais le jugement qui la guide n'est pas toujours éclairé. Il faut lui faire voir les objets tels qu'ils sont, quelquefois tels qu'ils doivent lui paraître, lui montrer le bon chemin qu'elle cherche, la garantir de la séduction des volontés particulières, rapprocher à ses yeux les lieux et les temps, balancer l'attrait des avantages présents et sensibles, par le danger des maux éloignés et cachés.

LIVRE II- Chapitre 9
(« Du peuple ») : Comme la nature a donné des termes à la stature d'un homme bien conformé, passé lesquels elle ne fait plus que des géants ou des nains, il y a de même, eu égard à la meilleure constitution d'un Etat, des bornes à l'étendue qu'il peut avoir, afin qu'il ne soit ni trop grand pour pouvoir être bien gouverné, ni trop petit pour pouvoir se maintenir par lui-même. Il y a dans tout corps politique un maximum de force qu'il ne saurait passer, et duquel souvent il s'éloigne à force de s'agrandir. Plus le lien social s'étend, plus il se relâche, et en général un petit Etat est proportionnellement plus fort qu'un grand.
Mille raisons démontrent cette maxime. […]
Ce n'est pas tout; non seulement le gouvernement a moins de vigueur et de célérité pour faire observer les lois, empêcher les vexations, corriger les abus, prévenir les entreprises séditieuses qui peuvent se faire dans des lieux éloignés, mais le peuple a moins d'affection pour ses chefs qu'il ne voit jamais, pour la patrie qui est à ses yeux comme le monde, et pour ses concitoyens dont la plupart lui sont étrangers. Les mêmes lois ne peuvent convenir à tant de provinces diverses qui ont des moeurs différentes, qui vivent sous des climats opposés, et qui ne peuvent souffrir la même forme de gouvernement. Des lois différentes n'engendrent que trouble et confusion parmi des peuples qui, vivant sous les mêmes chefs et dans une communication continuelle, passent ou se marient les uns chez les autres et, soumis à d'autres coutumes, ne savent jamais si leur patrimoine est bien à eux.

LIVRE II- Chapitre 11
(« Des divers systèmes de législation ») : […] à l'égard de l'égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes, mais que, quant à la puissance, elle soit au-dessous de toute violence et ne s'exerce jamais qu'en vertu du rang et des lois, et, quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre. Ce qui suppose du côté des grands modération de biens et de crédit, et du côté des petits, modération d'avarice et de convoitise. Cette égalité, disent-ils, est une chimère de spéculation qui ne peut exister dans la pratique. Mais si l'abus est inévitable, s'ensuit-il qu'il ne faille pas au moins le régler? C'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir.

LIVRE III- Chapitre 4
(« De la démocratie ») : D'ailleurs que de choses difficiles à réunir ne suppose pas ce gouvernement? Premièrement un État très petit où le peuple soit facile à rassembler et où chaque citoyen puisse aisément connaître tous les autres; secondement une grande simplicité de moeurs qui prévienne la multitude d'affaires et les discussions épineuses; ensuite beaucoup d'égalité dans les rangs et dans les fortunes, sans quoi l'égalité ne saurait subsister longtemps dans les droits et l'autorité; enfin peu ou point de luxe; car, ou le luxe est l'effet des richesses, ou il les rend nécessaires; il corrompt à la fois le riche et le pauvre, l'un par la possession, l'autre par la convoitise; il vend la patrie à la mollesse, à la vanité; il ôte à l'Etat tous ses citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l'opinion.

LIVRE III- Chapitre 15
(« Des députés ou représentants ») : Sitôt que le service public cesse d'être la principale affaire des citoyens, et qu'ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur personne, l'Etat est déjà près de sa ruine. Faut-il marcher au combat? ils payent des troupes et restent chez eux; faut-il aller au conseil? ils nomment des députés et restent chez eux. A force de paresse et d'argent ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie et des représentants pour la vendre.
C'est le tracas du commerce et des arts, c'est l'avide intérêt du gain, c'est la mollesse et l'amour des commodités, qui changent les services personnels en argent. On cède une partie de son profit pour l'augmenter à son aise. Donnez de l'argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d'esclave, il est inconnu dans la cité. Dans un État vraiment libre les citoyens font tout avec leurs bras et rien avec de l'argent. Loin de payer pour s'exempter de leurs devoirs, ils paieraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien loin des idées communes; je crois les corvées moins contraires à la liberté que les taxes.

LIVRE IV. Chapitre 1
(« Que la volonté générale est indestructible ») : Enfin quand l'Etat près de sa ruine ne subsiste plus que par une forme illusoire et vaine, que le lien social est rompu dans tous les cours, que le plus vil intérêt se pare effrontément du nom sacré du bien public alors la volonté générale devient muette, tous guidés par des motifs secrets n'opinent pas plus comme citoyens que si l'Etat n'eût jamais existé, et l'on fait passer faussement sous le nom de lois des décrets iniques qui n'ont pour but que l'intérêt particulier.

LIVRE IV. Chapitre 2
(« Des suffrages ») : Je réponds que la question est mal posée. Le citoyen consent à toutes les lois, même à celles qu'on passe malgré lui, et même à celles qui le punissent quand il ose en violer quelqu'une. La volonté constante de tous les membres de l'État est la volonté générale c'est par elle qu'ils sont citoyens et libres. Quand on propose une loi dans l'assemblée du peuple, ce qu'on leur demande n'est pas précisément s'ils approuvent la proposition ou s'ils la rejettent, mais si elle est conforme ou non à la volonté générale qui est la leur; chacun en donnant son suffrage dit son avis là-dessus, et du calcul des voix se tire la déclaration de la volonté générale. Quand donc l'avis contraire au mien l'emporte, cela ne prouve autre chose sinon que je m'étais trompé, et que ce que j'estimais être la volonté générale ne l'était pas. Si mon avis particulier l'eût emporté, j'aurais fait autre chose que ce que j'avais voulu, c'est alors que je n'aurais pas été libre.
Ceci suppose, il est vrai, que tous les caractères de la volonté générale sont encore dans la pluralité: quand ils cessent d'y être, quelque parti qu'on prenne il n'y a plus de liberté.

1 commentaire:

  1. Héhé c'est un peu comme avant à la tv quand y avait interruption des programmes et que la speakrine lisait un petit poème pour faire patienter le téléspectateur. ;-)

    En tout cas c'était très intéressant.

    RépondreSupprimer