5 avril 2007

La religion et les Lumières

Pour varier les plaisirs, je me suis livré à un petit exercice qui a donné cette petite synthèse des idées exprimées par Elie Barnavi et Régis Debray, le 16 décembre 2006, lors de l’émission de radio Répliques intitulée « La religion et les Lumières ». Un petit interlude qui j’espère vous détendra en cette période agitée.

Les Lumières et le sacré

Vivons-nous dans un siècle éclairé ? En 1784, Emmanuel Kant répondait déjà à cette question par la négative. Qu’en est-il alors aujourd’hui de l’héritage des Lumières ? La résurgence du fait religieux dans notre présent remet cette interrogation à l’ordre du jour et nous rappelle aussi que si la conception d’une société passée des ténèbres à la lumière n’est qu’une illusion, c’est une illusion qui nourrit un idéal nécessaire, l’important étant en effet que la réalisation de cet idéal puisse être encore et toujours d’actualité. C’est un chantier qui est loin d’être terminé.

Il faut bien admettre que persistent des zones d’ombre que n’ont pu éclairer l’idéal des Lumières et nous devons nous demander quelles en sont les raisons. Au nombre de ces zones d’ombres qui peuvent prendre parfois le chemin de la déraison, on compte trois phénomènes : l’appartenance (le phénomène national), la croyance (le phénomène religieux) et la violence qui ont tous trois partie liée. Et dans les faits, nous sommes bien obligés de constater que le gouvernement mondial n’est pas là et que c’est, au contraire, le tribal qui gagne aujourd’hui du terrain. La maîtrise des choses et du monde par le progès, cet optimisme scientiste qui sous tendait les théories des penseurs des Lumières n’a visiblement pas entraîné un progrès simultané sur les rapports de l’homme à l’homme. Pour comprendre où se situent les causes de cet échec, cet optimisme doit donc être à nouveau interrogé par le seul outil valable dont nous disposons et que nous ont justement légué les Lumières : la Raison. Il apparaîtra ainsi que l’erreur pourrait bien résider dans la confusion que nous avons faite entre le faber et le socius et qui s’est traduite par le plaquage sur l’action des critères de la fabrication – agir n’est en effet pas la même chose que faire. Nous avons ainsi probablement trop adhéré à l’idée que cet idéal des Lumières était transposable et universalisable. Les penseurs de l’époque le croyaient déjà et jugeaient possible et nécessaire l’imposition et l’universalisation de cette nouvelle catholicité. Cette foi trouve sa traduction dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Or, il est important de rappeler ici que cette Déclaration n’est valable qu’à la condition que l’homme soit en quelque sorte autonome et qu’il ait la capacité d’agir par lui-même. C’est un aspect des choses qui a peut-être été un peu oublié par les perpétuateurs de l’idéal des Lumières, comme a été un peu vite écartée l’idée qu’une société ne peut se résumer à une addition d’individus sans arriérés, sans généalogie et sans filiation. Le rêve d’une société transparente à elle-même a fait fi de la transcendance et de la sacralité nécessaires à la constitution d’une communauté. Dans l’histoire, cette évacuation de la sacralité et de l’exigence de communion a pu trouvé des objections dans le Romantisme ou a pu, au contraire trouver son incarnation, par exemple dans la figure moderne du self-made man, cet individu qui affirme ne devoir rien à personne.

Les héritiers des Lumières semblent donc vouloir oublier qu’on ne partage que ce qui nous dépasse et que pour faire d’une multiplicité une nation, il faut une référence à un point exogène. Ces héritiers s’en sont tenus à l’idée que la religion était une valeur qui faisait obstacle au déploiement de la Raison et qu’en tant que telle, il fallait l’éliminer. Or, la religion est avant tout une fonction avant d’être une valeur. Elle est avant tout une nécessité collective avant d’être une option facultative que l’on achète ou pas. Il faut pouvoir regarder ailleurs pour vivre ensemble, pour faire corps. Pas de collectif sans religiosité. Et cette religiosité peut être séculaire et laïque. Il peut s’agir de la religiosité de Jean Moulin et de De Gaulle, c’est-à-dire de la sacralité républicaine qui donne la laïcité et qui constitue un bon équilibre entre les droits de la personne et les devoirs collectifs – devoirs qui aujourd’hui sont d’ailleurs sur le point d’être gommés. La volonté des héritiers des Lumières de ne pas faire droit au caractère sacré de la laïcité a probablement été une erreur, le sacré étant ce qui légitime le sacrifice et interdit le sacrilège. Ainsi, il apparaît vraiment nécessaire de sacraliser cette laïcité.

Les Lumières, la laïcité et l’Islam

On a bien vu en France, lors de ce qu’on appelé « l’affaire du voile islamique », l’altercation qui pouvait naître entre une République défendant son identité laïque, en vertu de son inscription dans le Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et une communauté religieuse défendant son identité particulière, au nom cette fois des plus réducteurs Droits de l’homme et au nom de l’égalité des cultures. Le problème posé ici relève de la nature des religions matricielles des deux parties en présence. D’une part le christianisme qui est fortement lié à l’idée de nation et, d’autre part, l’Islam qui est historiquement attaché au califat et donc à l’empire. La grande chance du christianisme fut la présence d’emblée de la distinction fondamentale entre les deux épées, les deux ordres du spirituel et du temporel – distinction qui a conduit à la laïcité et qu’on ne trouve pas dans l’Islam ni dans le judaïsme. Dans l’Islam existe également une particularité qui fait blocage, c’est l’idée que le Coran est la parole de Dieu et non une parole sur Dieu ou une parole inspirée par Dieu. Il est ainsi difficile à la laïcité d’être à l’ordre du jour de L’Islam, religion faut-il le rappeler qui a un décalage de six siècles. Si d’une certaine façon nous considérons que l’Islam en est au 15ème ou au 16ème siècle, l’analogie, certes facile, entre nos guerres de religion, où s’affrontaient catholiques et protestants, et l’opposition actuelle entre chiites et sunnites, n’en demeure pas moins fondée. Pour que se résorbe cette opposition, il manque à l’Islam un véritable Etat laïque au-dessus de ses conflits. Il faut évidemment lui laisser le temps et ne pas faire d’amalgame. Face à l’islamisme, l’Occident retrouve trop facilement des mots, des réflexes, des attitudes qui furent les siennes face à la montée du bolchévisme. On fantasmait alors sur le monolithisme du communisme comme on surestime aujourd’hui la cohésion de l’Islam dont on sait qu’il est en guerre intestine contre lui-même. Et comme l’a fait le général De Gaulle en son temps en parlant des Russes et non des Soviétiques, ne faudrait-il pas parler aujourd’hui des Perses et non des Islamistes ? Il est en tout cas certain que l’Islam d’Europe peut être une chance, un allié, un foyer de lumière en direction de l’Islam d’ailleurs.



Références des ouvrages :

Elie Barnavi, Les religions meurtrières, Flammarion, 2006,
Régis Debray, Aveuglantes Lumières, journal en clair-obscur, Gallimard, 2006

1 commentaire:

  1. Aveuglantes lumières est un très bon bouquin... Debray en Républicain convaincu pose les bonnes questions: à quoi ça sert de se regrouper dans une "Lumières Pride" à tout bout de champ ? De jouer le pantomime du c'est "Sade qu'on embastille"?? De croire à la religion du progrès??

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