17 février 2007

Le samouraï du Christ

En 1637, les paysans japonais de la presqu’île de Shimabara se révoltèrent contre la misère et le pouvoir shogunal. Des révoltes paysannes, il y en a eu et il y en aura des milliers d’autres au Japon. Cependant celle-ci restera unique dans les anales de l’histoire car ce fut la seule grande révolte menée, au pays du soleil levant, sous la bannière de Jésus de Nazareth. Cette rébellion avait pour chef un enfant, samouraï chrétien de 16 ans, passé dans l’histoire sous le nom d’Amakusa Shirô. Ses partisans l’appelaient l’Enfant Céleste.



Né sous le nom de Shirotokisada Masuda en 1621, celui qui deviendra l’enfant céleste était le fils de Jinbei Masuda, un samouraï vassal du seigneur chrétien Yukinaga Konishi. Ce dernier fut daimyo de ce qui est aujourd’hui la préfecture de Kumamoto, dans l’île de Kyushu. Ce seigneur fut battu à la bataille de Sekigahara par Ieyasu Tokugawa, l’homme qui réorganisa complètement le pays. C’est ce qu’on appelle l’ère Edo (actuelle Tokyo).

Ieyasu Tokugawa


Toute cette modernisation se base sur une hiérarchisation importante des différentes classes de la société. A la tête du gouvernement le shogun, puis venaient les différentes classes de daimyo. Ceux de l’intérieur, qui ont prêtés serment aux Tokugawa avant la bataille de Sekigahara et ceux de l’extérieur, qui ont étés contraints de le faire après. C’est donc une sorte de pyramide sociale où le shogun et les daimyo de l’intérieur se taillent la part du lion en ayant les meilleurs postes dans l’armée et l’administration. Difficile de na pas faire de mécontents et ce, sans même parler du socle de cette pyramide, les paysans, artisans, marchands et autres sous classes.




C’est donc un système moderne par rapport à l’ancien mais qui reste féodal.
Or l’occident a mis son nez au Japon en apportant deux choses :

- La poudre à canon, qui plait à tous.
- La chrétienté qui ne plait qu’aux plus démunis.

En effet, en 1582, une délégation de jeunes japonais a fait le voyage a Rome et a ramené, au pays du soleil levant, le message de paix (et d’égalité) du Christ, ce qui va faire trembler, à long terme, la base de la pyramide du clan Tokugawa. C’est pour cette raison qu’en 1623 le christianisme est proclamé hors la loi dans le pays et, comme au temps de Rome, les chrétiens japonais s’organisent dans la clandestinité.

A cette époque le petit Shirô (on va prendre le raccourci de son prénom) fait l’émerveillement de tous par son intelligence. A l’âge de 5 ans il sait parler, lire et écrire avec une perfection qui embarrasse la plupart des adultes de son entourage. De nos jours encore on lui prête, comme Jésus en son temps, l’habilité de marcher sur l’eau ou de guérir les malades par imposition des mains.

Sans porter crédit à ces miracles, on peut affirmer qu’il fut un enfant d’une grande intelligence et d’une encore plus grande beauté. Une beauté qui subjuguait n’importe qui l’approchait. Sa philosophie se résumera toute sa vie en une phrase :

Toute chose sur cette terre naît de la même racine, tous les êtres humains sont égaux au-delà des classes.

Dans cette ancienne province chrétienne, qui subit la tyrannie du pouvoir, les impôts inhumains, la persécution religieuse, puis la grande famine de 1636, ces paroles seront l’étincelle qui allumera l’incendie.

Le 24 octobre 1637, une coalition de paysans de l’île d’Amakusa et de la presqu’île de Shimabara se rassemble en secret sur l’île de Yushima (actuelle ville d’Oyano). Shirô, qui est présent, est élu à l’unanimité chef de la révolte. Il n’a que 16 ans mais il jure sur la croix et la lame de son katana de défendre les opprimés jusqu’à son dernier souffle.

Le lendemain toute la péninsule de Shimabara se soulève. Le 27 octobre, l’île d’Amakusa fait de même. Les forces de l’autorité shogunale sont en déroute et prennent la poudre d’escampette.

Amakusa et ses environs


Le 5 décembre les forces rebelles de Shimabara et d’Amakusa font leur jonction devant le château d’Hara (sur la péninsule de Shimabara).
Ils vont être rejoints par tout ce que le pays compte de mécontents. Les paysans chrétiens d’abord, qui arrivent presque nus avec des piques taillées au couteau dans les branches des arbres. Et puis les autres paysans qui n’ont que la misère pour religion. Mais il y a également tous les ronin (chrétiens ou non) du pays qui ont trouvés une cause à leur honneur perdu.
Il y a aussi toutes les autres sous-classes de la société japonaise tel que les artistes ou les geishas. Ce qui est unique dans l’histoire du Japon c’est que certains samouraïs chrétiens ayant toujours un maître vont déchirer leur serment pour le royaume des cieux et cette croix en bois qu’ils portent cachée sous leur kimono depuis des années.

En bref, ce sont 37.000 japonais qui vont se barricader dans le château d’Hara derrière un chef de guerre de 16 ans. Partout ils dresseront des croix et les vieillards, femmes et enfants tisseront des bannières à la gloire de la chrétienté.
Dans le château ou trouve des fusils et un ou deux vieux canons. Il y a également les barricades mais la plus efficace des armes et celle qu’on y amène : la foi.

Le 20 décembre, le shogun envoie 40.000 hommes pour mater la rébellion. Ils sont repoussés sans avoir eu le temps de faire un véritable siège car les hommes de l’enfant céleste, les voyant à nombre presque égal, sont sortis de la forteresse et les ont mis en déroute sur terrain neutre.
Les chrétiens japonais peuvent passer leur dernier noël en paix sur cette terre.

Le 1er janvier les forces shogunales reviennent à l’attaque un peu mieux organisées. Elles font un véritable siège cette fois mais lorsque le commandant en chef, Shigemasa Itakura, est tué, l’armée du pouvoir repart en sens inverse.

Trois jours plus tard, Nobustuna Matsudaira assume le commandement de l’armée devant mater la révolte. Pour ce faire, il va appliquer la vielle théorie du mal par le mal.
C’est l’occident qui a introduit la chrétienté au Japon ? Qu’à cela ne tienne ! C’est l’occident qui va la défaire.
Jouant sur les accords commerciaux naissants avec la Hollande il demandera à la marine batave de bombarder le fort d’Hara. Ce qui sera fait en bonne et due forme dés le 13 janvier 1638, la forteresse étant sur une presqu’île.
Un bombardement qui va durer presque un mois et demi.

Criblé de boulets, le château d’Hara sera prêt à tomber pour le dernier assaut le 27 février. 60.000 soldats du shogun s’élancent sur la forteresse fumante.
Cette fois, peu de résistance. La plupart des combattants sont déjà morts. Pourtant, les hommes du général Matsudaira vont croiser la route d'un très jeune samouraï d’à peine 17 ans qui va leur donner du fil à retordre avec son sabre avant de tomber raide mort sous d’innombrables coups. C’est bien plus tard qu’ils apprirent que ce gamin était le général en chef de l’armée rebelle.

Statue d’Amakusa Shirô devant le château d'Hara


Les presque 3.000 vieux, femmes et enfants survivants qui s’avancèrent vers l’armée conquérante en chantant des cantiques et en levant au dessus de leur tête les croix et icônes qu’ils avaient forgées de leurs mains furent massacrés jusqu’au dernier.
Sur les 37.000 Japonais qui restèrent presque 3 mois au fort d’Hara, pas un seul n’en est sorti vivant. Si dieu existe, souhaitons leur du bonheur dans l’autre monde.
Les catholiques japonais attendent toujours que Rome canonise Amakusa Shirô.
Ils peuvent attendre encore longtemps.

2 commentaires:

  1. Cher Atlantis, vos oubliés de l'histoire ont intérêt à vite trouver un éditeur digne de ce nom !!! Toujours intéressant, jamais barbant.

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  2. L'attente ne sera peut être pas si longue:

    Le Japon s'attend au début imminent du procès en béatification de 188 martyrs chrétiens exécutés sous le shogunat des Tokugawa au 17e siècle, a indiqué dimanche l'archevêque de Nagasaki, Joseph Mitsuaki. Le procès de ces martys tués entre 1603 et 1639 devrait commencer en avril. La Conférence des cardinaux au Vatican a donné son approbation le mois dernier, l'affaire serait certaine à 99%.

    L'Archipel, à majorité shintoïste et bouddhiste, ne compte que 1,9 million de chrétiens (soit 1,5% de la population) dont seulement 444.000 catholiques. L'idée de béatifier les 188 martyrs a surgi lors d'une visite au Japon du Pape Jean-Paul II en 1981.

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