10 novembre 2006

Légitime défonce.

Art 122-5 du Code Pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »

La légitime défense est-ce se faire justice par soi-même ? Oui et non. Oui car le droit pénal appréhende la légitime défense comme une cause d’exonération ou d’atténuation de la responsabilité pénale. Non car l’idée de justice par soi-même implique la vengeance qui n’est pas dans l’absolu juste donc recevable au sens de notre justice. Et dans le feu de l’action, la vengeance n’a que peu de marge de manœuvre. On est plutôt à ce moment-là dans le domaine du cerveau reptilien, de l’instinct, de la réaction irrationnelle. Stimuli, réflexe !

Les faits : le 27 Octobre dernier, un homme de 58 ans et sa femme ont été agressés à leur domicile par trois cambrioleurs. L’un était armé d’un 357 Magnum. Alors qu’ils menaçaient et commençaient à battre la femme, un coup de feu est parti. L’arme est alors tombée à terre. L’agressé, directeur commercial de profession, s'en est saisi et a poursuivi ses agresseurs qui s’enfuyaient. Il s’est focalisé sur Pascal Hilaire, 26 ans et lui a tiré une balle dans le dos, puis 2 autres au moment où il tentait de s'échapper par la fenêtre. Atteint par les3 balles, Pascal Hilaire, 26 ans, s'est écroulé un étage plus bas, mort.

Le tireur a bien évidemment été incarcéré. Et cela suscite des réactions. Le syndicat de police Synergie par exemple ne comprend pas cette décision et Nicolas Sarkozy a fait un appel du pied à Pascal Clément, Garde des Sceaux. Devant la presse, le ministre de l’Intérieur s’est exprimé comme suit : "Nos concitoyens ont du mal à admettre qu'un homme agressé chez lui, menacé de mort et craignant pour la vie de son épouse, soit en retour mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire".Une demande de mise en liberté a été déposée. Elle sera examinée par la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris vendredi.

Ce qui attire notre attention en l’occurrence c’est la non compréhension de l’incarcération par le syndicat de police, doublée de l’intervention de notre vénéré Ministre de l’Intérieur, sombrant à nouveau dans le populisme juridique (spéciale dédicace to Reune) projeté, de bas étage. Il serait temps de laisser la justice travailler sereinement !

La détention provisoire en l’état est logique : il y a eu crime, homicide volontaire. Maintenant, que la chambre d’instruction décide de libérer le tireur en attendant le procès lui appartient et cette décision ne remettra pas en cause la pertinence de la décision préalable du Juge de la détention et ne viendra évidemment pas concurrencer le verdict populaire et le jugement de la Cour d’Assise. Sarkozy est à nouveau venu titiller le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs au nom de l’idée stéréotypée et caricaturale qu’il a du peuple ; il met de plus une espèce de pression morale sur la Cour d’Assise qui aura à juger ce crime... Quant à notre humble avis d’autant plus humble que nous ne connaissons pas toutes les circonstances de la tragédie, il y aura prononcé d’une peine de prison ferme car oui, il y a bien eu homicide volontaire en l’espèce (même si la mort est due à la chute, héhéhé), et inexcusable en totalité, juridiquement parlant…

Dans un procès en assises, la question des causes d’exonération ou d’atténuation de responsabilité vient après la décision des jurés sur l’acte qu’ils ont à juger. Normal : pour être excusé, il faut avoir fauté. Le crime est constitué : aucun doute. Nous avons une victime avec trois impacts de balle.

Si le tireur devrait bien bénéficier de la présomption d’état de légitime défense de l’article 122-6 (« Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence »), il y a homicide à base de trois coups de feu de 357 Magnum. Or l’article 122-5 paragraphe 2 précise : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction ». S’il y aura questionnement au niveau de la qualification de la nature de la légitime défense (vies ou biens), cette qualification entraînera ou non (car pour les biens, l’homicide exclut la légitime défense) la Cour sur le terrain de la juste proportion. Mais même en cas de légitime défense de la vie, il est improbable que la Cour d’Assise la retienne pour cause de riposte disproportionnée. D’une : le tireur à partir du moment où il s’est emparé du gun, avait de nouveau le contrôle de la situation. De deux, ses assaillants s’enfuyaient et il a tiré par trois fois dans le dos de l’un… A ce titre 122-7 (« N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace »), soit l’état de nécessité est également exclu.

Il ne devrait donc définitivement pas s’en tirer sur ce terrain là. Plutôt sur le terrain des articles 122-1 en comptant sur une accusation souple : « La personne qui était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime » et 122-2 : « N’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister ». Ainsi, « la contrainte morale qui provient de pressions d’origine externe (menaces), assez prenantes ou assez directes pour enlever au prévenu sa liberté d’esprit » (Crim. 28 déc 1900). Avec analyses psychiatriques à la clé.

La contrainte et non pas la légitime défense. La folie criminelle induite par la terreur et la haine plutôt que le permis de tuer citoyen.

Ce tireur, qui a toute notre compassion car on aurait fait pareil, si tant est qu’on ait eu son courage, du moins sa rage bouillante dans de pareilles circonstances, devrait manger une courte peine de prison ferme. La Cour d’Assise en matière de crime n’a pas le choix selon les textes : ou elle exonère totalement ou elle condamne à un minimum de prison ferme (en général une peine qui couvre la provisoire, l'accusé ressortant libre de son procès ; mettons un an pour qu’elle ait un minimum de crédibilité). Mais tout est possible en même temps : qu’il soit relâché vendredi et que la peine prononcée soit de deux semaines, qu’il ne le soit pas et que la peine couvre un temps de détention provisoire plus long, qu’il prenne une peine plus sévère mais qui restera relativement courte, qu'il soit exonéré mais ça paraît improbable.

Qu'en sera t il au moment du verdict ? Les tisons seront ils de sortie ? On réclame que Sarkozy boucle sa gueule une bonne fois pour toute. Il ne cesse de parler à tort et à travers, de brasser du vent. Il déstabilise et décrédibilise les institutions avec ses discours entendus dans un but électoraliste. Les français ne sont pas des enfants, définitivement. Le populisme politique, ne serait ce pas alimenter une projection de l’inconscient collectif qui ne serait qu’un mythe ? Voulons-nous légaliser la légitime défonce citoyenne ? Les bêtes en nous oui mais le reste ? Wild Wild West.

9 commentaires:

  1. Le seul avis intelligent que j'ai entendu sur cette affaire de ball-trap, surtout le coup de l'article 122-2.
    Et c'est marrant: quand la grande andouille de Thuram prend la parole, Sarkozy lui dit (en substance) de fermer sa gueule sur des sujets qu'il ne maîtrise pas. Que Sarko montre l'exemple.
    Je l'ai entendu donner son avis sur les programmes soclaires et la Princesse de Clèves...

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  2. Nous sommes revenu à l'état de nature d'avant le contrat social. Le peuple doit et retrouver toutes les prérogatives qu'il avait déléguées à l'Etat et que celui-ci est incapable d'assumer.

    Dont le droit de se défendre.

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  3. Excellent texte, d'une clarté exemplaire!

    "Populisme juridique",on peut employer le mot... "démagogie" serait également de très bon aloi.

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  4. Vous avez tous l'air de découvrir que notre Christ n'est pas la moitié d'un con !

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  5. Ah, le fameux bla bla bla séparation des pouvoirs bla bla bla... Enfin, les juristes ont une excuse pour proférer cette antienne, c'est un peu de la légitime défense les concernant...

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  6. Ah bon ? Ce que je voulais dire, c'est qu'ils sont attachés à une conception mythique de la séparation des pouvoirs. Tandis que celle-ci, au mieux, empêche le président de la République d'intervenir à l'Assemblée. Mais certainement pas un ministre de la République de se prononcer sur une décision judiciaire. Allez, encore une fois, c'est de la légitime défense.

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  7. Non, je ne suis pas prof!!!

    Alapopie-Enver-Tudor est un vrai professeur!

    Existe-t-il des violence légitimes? Bien sûr que non pour les personnes physiques.

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  8. rarement lu un propos si juste sur le sujet ,

    100% D'accord avec Christ-Off

    j'explique la rage du tireur et pour le mort pareil ,
    mais la loi est la loi et ce n'est pas de la légitime défense , mais de la vengeance légitimisé

    Sarko devrait fermer sa gueule

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