7 juin 2006

Exégèse des lieux communs du sport

Il a raison

Cela arrive. En considérant le magazine Télé 2 semaines (n° 63, p. 114), nous sommes tombés sur un petit article footballistique et anonyme qui dépasse, ab urbe condita, tout ce qui a pu être lu quant à la densité des poncifs accumulés. Il y a là un laconisme qu'aucun enrobage stylistique ne vient pour ainsi dire justifier, faisant de chaque phrase une réminiscence (ou un copier-coller) des borborygmes régulièrement imprimés dans l'Equipe, France Football et autres torchons encore en vente libre ; c'est proprement vertigineux. Nous vous livrons, sans coupures ni trucages, ces lignes à compulser sous le beau titre Les Bleus se mettent au vert :


Dans six jours, les 23 Bleus vont enfin entrer dans le grand bain face à la Suisse. Ce dernier match de préparation dans le chaudron stéphanois doit permettre de conclure leur préparation. Ribéry aura sans doute étrenné son premier maillot et Henry et Trezeguet affûté leurs crampons. Il ne reste plus qu'à soigner la finition, envoyer le ballon au fond des filets. Et verrouiller le secteur défensif. Pour se rassurer, se forger un mental et retrouver la belle envie de gagner.

Tout serait dit, s'il ne nous plaisait pas de noter à quel point ces expressions génériques peuvent s'avèrer inopportunes. Entrer dans le grand bain est impropre, sachant que l'équipe a récemment remporté une coupe du monde et un championnat d'Europe. Le chaudron stéphanois (métaphore puissante que l'audacieux scribouillard appliquera volontiers à tout stade abritant des supporters vaguement bruyants, ainsi : le chaudron marseillais, le chaudron grec, le chaudron stéphanois) n'a pas lieu d'être puisque c'est un match de l'équipe nationale et non de Saint-Etienne. Ajoutons, au cas où vous ne l'auriez pas deviné, que ce dernier match de préparation permet très justement de conclure leur préparation : c'est écrit, on ne le répète pas assez. Etrenner son premier maillot, en plus d'être un pléonasme, semble douteux pour un joueur professionnel. De même, on voit mal Henry et Trezeguet affûter leurs crampons, au propre comme au figuré : est-on dans un club de division d'honneur ? D'ailleurs, puisque c'est l'été, n'ont-ils pas des crampons moulés ? Nous passons sur l'effet cocasse de la polysyndète (soigner la finition, envoyer le ballon au fond des filets, verrouiller le secteur défensif) pour nous interroger sur le sens d'une finition dans un match de football, à moins qu'on ne parle ici de la finition des ballons, ce qui serait pour le moins inquiétant à six jours du début de la compétition. Quant à se forger un mental, voire verrouiller le secteur défensif, on ne sait pas ce que c'est. Enfin, on relèvera la pertinence de l'épithète dans la belle envie de gagner : le rédacteur anonyme sous-entend peut-être qu'il y a de laides envies de gagner, ou de belles envies de perdre ; au vrai, l'affaire est assez obscure. L'important, quoiqu'il en soit, est de la retrouver, cette envie, car les "23 Bleus" l'avaient sans doute oubliée aux vestiaires les fois précédentes ; ils avaient envie d'aller aux putes.
Le chef-d'oeuvre intemporel que nous venons d'étudier se révèle donc effrontément riche en lieux communs ; seulement, la fête n'est pas complète. C'est qu'il y manque de nombreux clichés du football pour en faire l'article parfait. Oui ! il aurait fallu crucifier le gardien, par exemple, même si ce ne sont pas des manières ; ou pourquoi pas boire le calice jusqu'à la lie en ajoutant que le poteau de but s'est dérobé, que sais-je ? Amis lecteurs, si votre coeur chérit les insignes de la complétude, proposez-nous d'autres platitudes appliquées dans ces jacasseries au prétexte de football. Mais n'y mettez pas un zèle outrageant : encore ce mode d'expression, chez les journalistes sportifs, permet-il d'obvier à la génération de dégâts irrémissibles. Vous ne voyez pas de quoi nous voulons parler, n'est-ce pas ? C'est que vous n'avez pas lu cet autre article signé Luc Le Vaillant et publié dans Libération, il y a un mois de cela. Cas pathologique de journaliste au verbe fâcheux et non moins désireux de faire du style. Voici un extrait de ce papier désormais payant (de quoi vous sauver de la ruine et de la démence tout à la fois), pour concevoir un peu le carnage linguistique duquel nous fûmes les témoins incidents :

Si Djorkaeff était un personnage anodin, un footballeur rase-pelouse comme il est des rase-bitume et des rats de vestiaires, on pourrait l'étudier façon compte de résultats. Un Mondial, un Euro, une Coupe de l'UEFA, une Coupe des Coupes, une Coupe de France. 82 sélections et 28 buts en équipe de France. 1,79 mètre pour 72 kilos. Mais le bonhomme n'a rien d'un robot béni-oui-oui, ni d'un numéro lambda au pays des ravis de la crèche qui ouvrent des billes de clown avec l'impression d'avoir gagné au loto. Bien sûr, le joueur Djorkaeff a l'orgueil des incompris, l'assurance des insupportables et le tranchant des impérieux, mais le voyageur bronzé et amaigri qui débarque de l'avion, en congé de son club new-yorkais, apparaît moins sûr de lui en pull en V et jean baggy qu'en maillot, et tout à fait avenant quand on l'imaginait plus sombre, plus tourmenté.

Et nous sommes persuadés que le folliculaire avait chaud sous les aisselles en écrivant ces lignes. La touffeur du génie à l'oeuvre. Mais, arrivé à un tel point d'indescriptibilité, commenter plus avant ne serait-il pas gâcher le plaisir du lecteur honnête ? C'est pourquoi nous allons nous arrêter de bavarder, en vous priant compendieusement de reprendre vos esprits, et d'apporter votre contribution à la quête des lieux communs du sport ici entreprise. Adieu.

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