23 janvier 2016

Des grosses pipes


Si on m’avait dit qu’un jour je prendrais un peu de mon temps pour écrire sur un « liquide vaisselle » (dont le nom-baragouin est déjà en soi un programme d’abrutissement), j’aurais pouffé avec la dernière énergie. J’aurais invoqué les grandes causes, les problèmes capitaux, les enjeux existentiels, Dieu et ses mystères, l’avenir du genre humain, la haute connaissance et, me drapant dans une ambition toute juvénile, j’aurais clamé un « ça, jamais » ! qu’on eût entendu jusqu’à Marseille. Et pourtant, c’est en ravalant mes prétentions que je viens ici, devant vous, la queue basse, gloser sur une merde.

Le BHV est une entreprise comme les autres : elle ne pense qu’au fric. Son DG a récemment déclaré qu’à ses yeux, ouvrir le dimanche est la moindre des choses : ça vous pose un homme. On trouve bien des trucs inutiles au BHV, notamment des bouteilles de produits chimiques pour laver la vaisselle (traduction en français de « liquide vaisselle »), dont une vient de se faire remarquer, non pas par son efficacité, non pas par sa douceur environnementale, mais par une vulgarité digne du plus gras des supporters de foot. J’explique :

Ça s’appelle Dishes goods et, malgré ce nom ridicule, ça se vante d’être un « produit bio de fabrication française »... Déjà, enfoiré, si tu es français et que tu vends du « LV » aux gens d’ici (écrire « liquide vaisselle » est au-dessus de mes forces, je ne concède que les initiales !), t’écris pas en anglais ! On imagine les demeurés à l’origine de ce bidule, cherchant des mois un nom qui les distingue des vulgaires LV de prolos et, soudain, l’idée géniale surgit : chef ! si on y donnait un nom anglais ? Génial. On a tellement souvent relevé le procédé (à ce stade de débile fainéantise, doit-on encore appeler ça un procédé ?) qu’on en sombrerait dans le désespoir. L’insistance des canailles à se comporter comme on attend qu’une canaille se comporte, raboterait le plus massif des optimismes.


Le génie s’accompagne souvent de qualités humaines exceptionnelles. A l’autre bout du spectre, la bêtise forcenée engendre souvent l’infamie. Dishes Goods illustre ce principe comme à la parade : pour rendre sympa leur truc angloïde, ils ont ajouté de petites phrases sur les bouteilles. Ecoutez-ça : « Il faut pomper pour que ça gicle », « C’est connu, le plaisir vient en astiquant » et « Ne pas avaler ? zut ! pour une fois que j’étais d’accord ». Tout ceci est authentique, lecteur abattu, tu peux vérifier. A cette trilogie, il manque un « Le liquide vaisselle, c’est pas pour les enculés », qui sera sans doute de la prochaine collection. La bêtise anglomaniaque d’entreprise se lâche donc et fait la démonstration de son humour corporate. Les crétins publicitaires des années 1980 prétendaient qu’ils vendaient non des produits mais du rêve : ceux d’aujourd’hui vendent simplement des grosses pipes. C’est ça, le génie humain : même dans un domaine aussi bidon que la publicité, même dans un univers d’emmanchés aussi parfaits, même dans une activité aussi fondamentalement nulle, il y a toujours moyen de descendre plus bas.

Laurence Rossignol, sous-ministre inconnu en charge d’on ne sait quoi, est montée à la charge en gueulant sur l’offense faite à l’image de la femme. C’est son boulot, c’est sa clientèle. Pourtant, pas si cons, les neuneus de Dishes Goods avaient prévu le coup : leurs bouteilles sont certes ornées de tronches de femmes, mais aussi de faciès d’hommes. Pas con, hein, pour désamorcer la deuxième plus grave accusation qu’on puisse imaginer dans le monde moderne ! On n’est pas sexistes, madame, la preuve, nos bouteilles porno sont destinées aussi aux hommes ! Enfin, aux hommes qui astiquent, qui pompent et qui avalent (des grosses bites)… Le BHV parisien étant opportunément situé dans le quartier du Marais, on comprend que le message relève du markéting le plus frontal. Encore de la finesse, quoi.
Nous en sommes donc là : la pornographie est une nouvelle sous culture, qui s’infiltre partout, y compris dans le rayon des produits ménagers.

Ce qui manque par nature aux grossiers, c’est la notion d’usage de la grossièreté. Ils sont grossiers tout le temps. Ils ne savent d’ailleurs pas qu’ils sont grossiers, pas plus que le bouc ne sait qu’il schlingue. La grossièreté est à la portée de tout le monde, c’est en cela qu’elle est vulgaire : aucune autre distinction n’y est possible que celle d’être pire que les autres. Comment ? en étant grossier quand il ne faut pas l’être, à contretemps, ou en permanence.
Dans le cas de Dishes Goods, la vulgarité se fait triomphante, elle relève sa tête de nœud, elle porte beau et se croit maline. Elle devient pure pornographie, au sens où elle montre ce qui doit être caché : les allusions salaces et lourdingues, il y a des salles de garde pour ça. Une fillette de huit ans qui demandera à sa mère ce que signifie « être d’accord pour avaler » (dans son esprit, avaler du produit pour laver les assiettes ?…) demeurera dans l’ignorance, ou apprendra des choses qui ne sont pas de son âge, et qui devraient le demeurer. Or, que l’on sache, le rayon « entretien » du BHV n’est pas encore interdit aux fillettes, et ce qu’on y trouve est destiné à rester longtemps dans la cuisine de l’acheteur. Mais la promiscuité d’un truc porno et d’enfants ne pose évidemment aucun cas de conscience aux promoteurs bio de cette saleté. Face à cela, l’image de la femme, comme disent ministres et présidentes d’associations vigilantes, c’est très peu de choses.

Quand une bande de cons se fait remarquer, comme ici, le procès qui s’ensuit renseigne encore plus sur les accusateurs que sur les accusés. Les accusateurs, féministes en l’occurrence, reprochent le sexisme des pubards, alors qu’ils devraient leur faire un procès pour débilité. Ils ne sont pas fondamentalement dérangés qu’on imprime des allusions fellatoires sur une bouteille de Paic citron bio, ils déplorent surtout qu’elles ne concernent que les femmes. Leur susceptibilité débute et s’arrête à « l’image des femmes ». Si Dishes Goods avait sorti un LV illustré d’un beau moustachu, un LV « Qui est meilleur quand on se le fourre dans l’oigne », auraient-ils seulement réagi ? Ce qui dérange les féministes n'est pas la vulgarité ni cette indécence débile, c'est que celles-ci ne soient pas paritairement réparties ! Ah, j'entends encore les féministes d'hier vanter les avancées sociétales du porno, quand on nous expliquait qu'on allait enfin voir ce qu'on allait voir, la puissance du plaisir féminin et la liberté de faire ce qu'on veut avec son corps (comprendre : cul) ! Vous l'aimiez le porno quand il choquait les vieilles provinciales à fichu sortant de la messe, eh bien qu'en dites-vous maintenant qu'il vous somme de sucer des bites dans les cuisines que vous rêviez de déserter grâce à lui ?
Ce n’est pas l’image de la femme qui est ici en jeu, c’est la nature de notre société tout entière. Quand on trouve tout naturel de vendre un produit ménager à grands coups de pornographie, tu peux l’attendre un moment, le respect de l’image de la femme ! Dans une société décente, personne n’aurait même l’idée de lier « laver la vaisselle » avec « pomper un dard », pas besoin d’associations vigilantes pour ça. Mais une société peut-elle à la fois jeter l’éducation aux chiottes, vanter la vie des winners, inciter toutes les formes d’expression (pourvu qu’elles soient spontanées et vraies), mettre la transgression « à la portée des caniches », subventionner le plug anal et réclamer le respect général pour tout ce qui est faible, beau ou délicat ?

8 commentaires:

  1. Le porno de papa etait (peut-etre) subversif hier et aujourd'hui, il est tellement partout qu'il en devient banal et addictif (c'est un multiplieur de branleur). Le sujet a déja été traité avec justesse par Beboper dans son papier sur Karin Schubert et sa pornification. Cela me parait fondamental de l'epoque : La subversion (le porno) institutionnalisé jusque dans la pub... Avec l'esprit de commémoration et de repentance (qui affirme les droits des minorités contre le principe majoritaire, fait une religion officielle et un pretexte a ceremonie pour politicens impopulaires) ET les migrants vus comme des "etres sociaux" envers qui il convient d'etre solidaire a priori (quid des pratiques culturelles d'agression sexuelle?), nous avons ici les trois sujets qui opposent gauche libertarienne bourgeoise et "nous" - le peuple ?

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  2. Bon je vais me faire lyncher je le sais d'avance...
    Pour moi je serais plutôt du style à dire aux pubistes,pubards et pubiens de tout accabit " continuez les gars allez y full speed ".Non pas pour les voir se faire faire faussement des faux procès. Non juste parce que cette sous culture là, elle me plaît.Elle est pour moi le retour aux vraies valeurs de la Rome antique du bas Empire, d'une décadence à faire rêver les générations futures d'écoliers. Je vois déjà la prochaine Audi nous être vantée dans ses détails techniques par un rocco 3 pièces en train de déboiter le mannequin qui 10 ans avant servait de faire valoir à la vente juste en posant la main sur le coffre arrière. "Et la camera de recul elle l'a ?" - bien sûr elle l'a. Tu l'as sens pas ?. Vendre du rêve pourvu que ça mousse et que ça glougloute. Car moi je sais depuis bien longtemps et à mon grand dam que la pornographie de la pornographie, c'est l'érotisme, c'est la robe longue victorienne avec vue sur le haut de gorge dans sa version soft et la burka avec ou sans fenêtre dans sa version hard. Nous aurons été et je le dis avec la plus grande solennité la seule génération de l'Humanité où les femmes auront été à présenter la concurrence qu'elles se mènent entre elles en mettant des leggins, des jeans stretch, des strings, des colliers tissus etc... Hormis le paléolithique où là elles s'emmerdaient pas ,le tissu n'existant pas, elles montraient la chose in vivo et in petto et ça intéressait où ça intéressait pas. Mais coté érotisme on a fait mieux. Donc préparez vos esprit et vos manies car demain vous vous branlerez sur la vision d'un talon. And That's all folks

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  3. Bah, normalement, la suite, ça devrait être une assoce d'homos qui attaque la ministre et sa meute de féministes pour discrimination, au motif qu'eux aussi ont droit de se sentir viser, car eux aussi astiquent et avalent.
    Au-delà de ton angle Bebop, un liquide vaisselle où's'kya écrit « Ne pas avaler ? zut ! pour une fois que j’étais d’accord » me semble un danger évident pour les enfants. C'est de l'inconscience criminelle, comme une mise en danger délibérée de la vie d'autrui...

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  4. Le comble du truc, c' est que la décadece, c' est toujours temporaire.Le pourrissement des valeurs, c' est le chant du cygne d' une société.
    La nature ,comme l' homme, ayant horreur du vide, la question est :qui va venir remplacer le zombie? Ou plutôt quel barbare décomplexé va récupérer les esclaves de la libération sexuelle pour en faire ses esclaves? On a bien une idée qui se profile, non?
    C' est con, le catholicisme bien assumé, c' était pas mal, je trouve...

    RZV

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  5. Du coup je m'intéresse, je lis des choses, des articles de blogs enchantés de l'idée et qui titrent "DishesGoods, le produit-vaisselle impertinent". Oui : un produit-vaisselle peut être IMPERTINENT ! Remarquez, on dit bien "Stéphane Guillon, l'humoriste irrévérencieux"...

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  6. C'est tout de même incroyable de sophistication (si on peut dire ça comme ça) marketing sur certains produits, ces encules pensent à tout.

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    1. Ils pensent à tout ?
      Mais non !
      La preuve ? Ilss ont oublié de façonner les bouteilles en forme de zob ,de trique ,de gode ,qu'on peut, une fois le LV ( Louis Vuitton ?) épuisé ,utiliser comm lingam .....j'y ai pensé, moi !
      Et je réclame hautement d'être embauché à la place de tous ces branleurs
      Feront une bonne affaire, les mecs ,je suis inventif et abject

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  7. La zosiete moderne met la transgression à la portée des caniches et réclame le respect pour tout ce qui est faible, beau ou délicat.... à condition que ce soit solvable ....sinon, tu penses bien que..... circulez ,rien à voir !
    Solvable dans tous les sens du terme ,c'est à dire qui rapporte quoi ,du fric ,de l'audience, de la notoriété, et comme dit mouloud de bouteille à l'amer "de la rente d'intermediation"

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