5 septembre 2012

La noblesse




Je ne suis pas parti en vacances. Comme chaque fois, j’ai pu voir ma ville aux deux tiers vidée de ses gens. Ils sont allés fournir en grouillement bariolé des bleds ordinairement sinistres, accrochés comme arapèdes au flanc d’une mer quasi morte ou nichés sur un promontoire d’où l’on surplombe un réseau épatant de ronds-points, de car-wash et de Pizza Paï, qui répand ses commodités sur une très vieille terre modelée de restanques par les peuples qui vécurent là avant nous.

Moi, je suis resté ici. J’ai passé mes journées dans une lente nonchalance, d’un livre à l’autre, d’un ami à l’autre. Parfois, j’ai marché dans les rues en me disant que ça devrait être ça, une ville : l’espace conquis par un homme tranquille, un refuge où s’abriter encore. Au mois d’août, en ville, tout est plus grand, plus large, et l’air plus libre. Les voitures sont rares et se font supportables. Le bruit ambiant nous laisse un répit et permet quelques conversations non hurlées. Il semble alors possible de tenir une journée entière sans l’aide des antalgiques.

Une ville amputée quelques jours de ses emmerdeurs est le dernier cadeau que notre civilisation vorace peut faire à ses citoyens. Trop pauvres pour partir, occupées à autre chose ou simplement rétives aux distractions grégaires, les quelques personnes présentes semblent y vaquer dans un autre monde, comme on plonge parfois dans un souvenir ancien en quête de sensations mortes. Cette cité au ralenti est-elle l’image fossile d’un temps d’avant le grouillement urbain ? Ou annonce-t-elle la perte irrémédiable de la tranquillité, comme les derniers assiégés résistent au flux qui va bientôt vaincre ? Qu’importe, jouissons-en, en attendant.

Le hasard a semblé vouloir me plaire. Il m’a permis de voir une de ses œuvres les plus rares sur les bords de la Saône : sur plus de quatre cents mètres, aucune voiture. Pas de circulation ; les emplacements de parking vierges de toute ferraille. Rien d’autre que le quai, les platanes et, posé comme la pièce centrale d’un jeu géant, le masque des immeubles. Le fleuve retrouvait enfin des spectateurs à sa mesure. Ce que seul un arrêté municipal vigoureux aurait pu produire (ou, à la rigueur, un cataclysme nucléaire), le hasard l’avait fait, et moi, simple passant, j’en recueillis les fruits. Comme ces maisons m’ont parues plus hautes, plus pures ! Comme chaque volume a soudain repris sa place, et comme l’ensemble a pu me séduire ! Sous les bagnoles, la ville !



Le touriste croit voyager quand il part en Grèce, au Pérou, au Maroc. Il ne fait que déplacer sa névrose ailleurs où, par comparaison, les salaires inférieurs lui font goûter l’ivresse du privilège. C’est l’Appel du buffet à volonté. Sa transhumance permet à ceux qui restent chez eux d’accomplir un voyage moins coûteux et pourtant inestimable, dans le temps. L’espace de deux ou trois semaines, la ville débarrassée de ce qui l’encombre et de ses hystéries quotidiennes se révèle comme elle a pu être autrefois, quand les sept milliards d’humains n’étaient même pas encore une hypothèse vraisemblable. Les formes de la ville y retrouvent la santé des origines, le spectacle de son architecture s’y donne presque comme il fut conçu, et l’on comprend enfin ce qui impressionnait les voyageurs d’antan découvrant la cité : la noblesse.

18 commentaires:

  1. C'est digne de Beaudoin de Bodinat Bebop. Digne d'Une vie sur terre. Je ne pars pour ma part jamais au mois d'août pour les mêmes raisons. Paris y est alors vivable.

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  2. à paris, métropole parvenue au stade terminal de la gentrification, où la population intramuros a diminué d'un bon tiers depuis le milieu du XXème siècle, je déplore plutôt la disparition du grouillement traditionnel qui définissait une (vraie) ville au profit des pistes cyclables, des voies de tramway gazonnées, du tourisme de masse, des galeries d'art, des agences immobilières, des crèches, et de tout un tas de choses qui améliorent la qualité de vie de la petite bourgeoisie tout en vidant l'espace urbain de son authenticité.

    du reste je fais comme toi, je ne pars pas en août. à cette saison j'accepte plus facilement le côté ville musée : à quoi s'attendre d'autre ?

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    1. T'as raison, bien sûr, la piste cyclable et la rue piétonne sont d'une laideur d'échelle cosmique. Ce n'est pas le grouillement que je déplore, c'est le grouillement des connards (visiteurs de magasins de fringues, suçoteurs de glaces en terrasse, glandeurs polymorphes) et celui des abrutis (banlieusards venant faire du rodéo en ville par la grâce d'un TER, se pavanant en T.shirt blancs avec-chaîne-en-or-par-dessus, et leurs morues fringuées comme des putes de clips).
      Il y a grouillement et grouillement !

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    2. pour un truc d'ordre familial ( pas pour des vacances hein ,qui voudrait aller là en vacances?) je suis descendu à montpellier avec mon gamin

      remonté en armorique, sa mère lui a demandé "alors , comment c'était?"
      "ha ben ,les cagoles sont toujours autant cagoles.....mais y a quelques bourquasses aussi..."

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  3. Paris, capitale en forme de cuvette de chiotte aux 70 millions de touristes. Les rares fois où j'y suis allé l'air y était irrespirable tant la ville est surpeuplée et sur-fréquentée. Le Français y est aussi très rare, voir absent dans certains quartiers, haha.

    Très beau texte au passage.

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    1. les villes de bord de mer et les villes de montagne , à l'exception de grenoble, sont exemptes des miasmes délétères persistants en période chaude

      le reste du pays....ça pue le siphon de salle de bain avarié....

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  4. Je n'ai pas eu la chance du moment de grâce et de noblesse. Mais il est certain que la ville en août est un plaisir. Les quais de Saône vierges de voitures ça doit être quelque chose.
    Mais la vue de ma cours sans vis-à-vis outrancier c'était quelque chose aussi.

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    1. En parlant de sales vis-à-vis, je ne sais pas pourquoi, mais en ce moment je suis le sujet de moquerie de grosses institutrices. De la vue de ma cuisine, je vois l'école primaire et maternelle en bas de chez moi. Je fume souvent une clope à ma fenêtre et depuis quelque temps, trois institutrices, elles aussi en pause cibiche, me matent et se foutent de ma gueule, ces grosses garces. Je dis grosses, parce qu'elles sont énormes, surtout une en particulier, on dirait Guy Carlier en tapette. C'est vraiment l'hôpital qui se fout de la charité. Et samedi dernier, je me suis embrouillé avec elles. Il pleuvait légèrement, alors je leur ai gueulé " Alors, ça mouille les grosses ! ". Elles m'ont fait le coup du respect et de la morale et qu'on ne parle pas comme ça à des institutrices. Alors vous me connaissez maintenant, chers lecteurs, quand j'engrange, c'est toujours dans la démesure et la montée en puissance : " pas de morale pour les morues ! " que je leur ai aimablement rebelotté. Embrouille de dix de der ! J'ai fermé ma fenêtre et je les ai laissé crier seul dans la rue.

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    2. On ne dit plus institutrice, on dit professeuse (fessues) des zécoles. Professeuses systématiquement analphabètes et bien souvent débiles légères... alors c'est pas beau de se moquer.

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    3. @ Paracelse: peut-être qu'il s'agissait du type de poufs qui rigolent comme des dindes, aussi discrètes qu'un(e) éléphant(e) dans un magasin de porcelaine, dès qu'elles voient un beau mec (c'est connu, c'est toujours les pires laiderons qui sont les plus difficiles). T'as peut-être pris l'expression de leurs hormones en folie pour une simple moquerie !

      Et dire que des gens comme ça sont chargés d'inculquer ce qui est bien ou ce qui est mal à des maternelles... Putain ça fait peur.

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    4. Ben voilà, tout s'arrange, prochain épisode : partouze au balcon.

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    5. Ça va être hot, il faudra poster la vidéo et nous donner l'adresse.

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    6. Para, tu es peut-être fou, mais drôle à coup sûr.
      Question d'orthographe ouverte (je sais que d'habitude tu apprécies les corrections ; mais le format commentaire t'empêche peut-être de changer quoi que ce soit quand bien même tu l'aurais vu ; et je suis peu sûr de mon coup) : "je les ai laisséES crier seulES" ??
      - Il semblerait que "laissé" ne doit pas s'accorder, car il ne faudrait accorder que si "les" est le COD du verbe à l'infinitif (ici "crier", dont les trois morues ne sauraient être le COD).
      - En revanche je suis plutôt convaincu pour "seules"

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    7. c'est sûr que trois cétacés de cette envergure, ça va être duraille pour assumer....
      c'est à un essai tératologique auquel se livre paracelse
      satisfaire les fantasmes de trois zéducs nazes.....
      suggestions :
      1; paraître au balcon torse poil , huilé et bronzé
      2; idem , mais avec un costume de batman
      3; tenir devant lui une photo grande taille révélant de loin un détail troublant ( sillon balanopréputial, méat urétral, voire même crête pectinnée anale ) aggrandi et de près , rien du tout ( car il y aura des plaintes , et une comparution devant le juge )
      4 ; une autre pancarte avec un numéro de téléphone fictif
      5 ; allez y les garçûs , lâchez vous !!!

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  5. Ah oui, j'ai oublié dire : excellent texte, Bebop !

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    1. Merci. "Pas de morale pour les morues", ça aussi, c'est excellent !

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  6. Paracelse part déjà à la chasse à la dinde pour Noël; prévoyant, le monsieur!

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  7. Et en Aout pendant le ramadan, c'est carrément la fête !

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