26 juin 2011

Mourir pour mieux vivre.



Le projet de légalisation générale de l’euthanasie (et la relégation de ses adversaires dans le camp du Mal) incarne l’un des plus forts penchants nihilistes de notre époque.
Quand on a la tête sur les épaules et qu’on sait ce que signifient les mots, pas besoin d’explication soutenue pour comprendre que l’euthanasie, comme la pendaison, les coups de tronçonneuse et les accidents de bagnole, ça s’oppose à la vie. En effet, il est indiscutable qu’un quidam bien euthanasié ne peut plus continuer à faire ses affaires comme si de rien n’était, sauf bien sûr s’il s’agit d’un chanteur engagé de la Nouvelle Scène française.

L’euthanasie, c’est la mort. Au sens propre, c’est censé être la « bonne mort », mais j’attends qu’on me montre ce qu’il y a de bon à être « accompagné » (lire « buté ») par un fonctionnaire sous-payé pratiquant son devoir entre deux récup' de RTT. Hélas, le principal caractère de l’homme moderne étant de faire l’inverse de ce qu’il dit (et vice versa), nous entendons partout les partisans de cette radicale barbarie prétendre qu’ils aiment la vie, qu’ils l’adorent, la respectent. Si on les laissait faire, ils arriveraient à prétendre qu’ils sont même les seuls à bien l’aimer.

Leur argument principal est simple : nous aimons tellement la vie que nous refusons de la vivre en étant malade, diminué, souffreteux, grabataire. Heureusement pour eux, ils ne pratiquent pas le même ostracisme pour la bêtise… Du haut de leur expérience, ils décrètent par avance qu’ils ne considèrent la vie valable qu’en pleine possession de leurs moyens, et qu’ils préfèrent mourir que de se voir diminuer. Sans même parler de l’orgueil éclatant qui s’affiche ici sans complexe, on est bien obligé de constater que ces gens préfèrent leur vision de la vie à la vie elle-même : définition même du nihilisme. Ils se font une opinion de ce qui est bien pour eux, et si l’unique moyen que la Nature a trouvé pour animer les amas de cellules que nous sommes n’y correspond pas, ils interrompent le processus !

Nietzsche était de constitution maladive et ne vécut pas bien vieux. C’est probablement ce qui le conduisit à tant vanter la « grande santé », à glorifier ce qu’il savait hors d’atteinte. En praticien involontaire de la souffrance, il était bien placé pour savoir ce que souffrir signifie et, contre tout romantisme, il définissait la bonne santé et la vie comme de souverains biens. Mais, sauf distraction de ma part, il n’a jamais prétendu qu’on devait les honorer à grands coups d’euthanasie ! C’est une rigueur logique dont notre modernité ne s’embarrasse pas. On adore donc l’hygiénisme le plus sec et l’euthanasie la plus méthodique dans un même mouvement. On prône la vie sans plaisir des abstinents et des bigotes, et on la juge encore si bonne que la maladie la rendrait indigne ! Une vie de comptabilité et d’eau d’Evian qu’on estime si parfaite qu’il serait préférable de l’abréger plutôt que de devoir la vivre à moitié ! Ben merde !
Après une existence passée sans fumer, sans boire, sans conduire imprudemment, sans se battre, sans saigner, sans manger de sauciflard, sans perdre son temps, sans se consumer, après une vie sans rillettes, la maladie doit être accueillie comme l’ultime tentative du Destin pour qu’on connaisse enfin une chose qui mérite d’être vécue. J’ai dit.

Aussi peu spirituelle que soit notre époque, elle ne peut se passer de mythes à sa mesure. Le mythe du héros qui meurt jeune, Kurt Cobain ou James Dean, peut être apparenté à cette phobie des microbes, à cette lutte hygiéniste, à ces cinq fruits et légumes quotidiens, à cette injonction à être et demeurer en bonne santé. Dean, surnommé « le cendrier humain », n’aurait probablement pas fait un joli quinquagénaire. Mais mort à 24 ans, il est ainsi préservé de ce qui fait la vie même : les atteintes au physique et celles, de lèse majesté, à l’apparence. Idolâtrer James Dean pour ça, s’épater qu’il soit resté jeune « à jamais », c’est confesser involontairement son propre dégoût de la vie. Pur nihilisme.
Comme les insensés qui préfèrent se passer de plaisirs de peur d’avoir à en payer le prix un jour, on adore la jeunesse de James Dean parce qu’elle n’a pas eu à se confronter à son destin, qui était de cesser, passer et disparaître lentement. On oublie que le destin idéal d’une jeunesse n’est pas de finir vite dans de la tôle froissée, mais de préparer l’âge suivant, de nourrir la maturité. Vivre, ce n’est pas être jeune, encore moins demeurer jeune, c’est voir passer les années et vieillir. Vivre, ce n’est pas poser un ultimatum à son corps : demeure en bonne santé où je t’anéantis !



Derrière ce lancinant désir d’en finir comme derrière l’injonction à ne pas faire d’excès, il y a aussi une question économique. Nos sociétés ayant adopté des systèmes d’assurance de santé qui pompent à nos poches, certains trouveraient plus juste que les malades cessent carrément de l’être et que les mourants se dépêchent de claquer ! Alfa et oméga de la bonne comptabilité, cette vision étrange de la solidarité apporte une solution radicale à tous les déficits. Plutôt que payer des gourmands à se soigner d’un cholestérol illégitime, plutôt que payer les maladroits à se guérir des chutes de cheval et plutôt que secourir les marins perdus qui auraient pu rester à quai, on inscrit le principe de précaution dans la Constitution et on criminalise d’un coup le cavalier intrépide, l’amateur de régate et les bouchons lyonnais. Quant à l’imprudent octogénaire alité trop longtemps, kaputt !

Au peuple le plus bête, il faut encore un but élevé : vaincre le Déficit de la Sécu. Les temps n’étant plus à l’héroïsme, c’est par le sens de l’équilibre budgétaire que le Français sera mené à l’abattoir. Il est incontestable qu’une population correctement éduquée dans le sens de la parfaite économie et de l’amour de la vie n’aurait qu’une hâte : en finir promptement.
Eugénisme et euthanasie proposant étymologiquement de « bien naître » et de « bien mourir », le citoyen modèle prendra donc soin de ne pas trop s’attarder entre les deux étapes de son existence, et de ne rien faire qui puisse l’écarter du Bien.
Amen.

7 commentaires:

  1. Nietzsche ne prônait pas l'euthanasie, par contre le suicide oui, comme un moyen héroïque de maîtriser son destin.
    C'est William Burroughs la photo, non ? C'est marrant, je suis en train de lire un bouquin d'interviews de lui.

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  2. kobus van cleef27 juin 2011 à 17:30

    j'aimerais bien vous suivre sur tous les points....mais....
    il est évident que se savoir diminué n'est guère encourageant et ne force pas à se forcer si on peut dire
    pour l'amateur de cochonailles ( dont je suis) le cholestérol n'est qu'un épiphénomène , un marqueur si vous voulez et que ledit cholestérol s'élimine rapidos après la ripaille si on prend soin de se rentrer à la maison à pied ( et comment ! les sarkoboys guettent au carrefour les bagnoles hébrieuses)
    perso , le principe de précaution , je trouve que c'est l'étouffoir le plus maternant qu'on ai pu inventer , du genre "met ton cache nez, tu vas prendre froid" ( comme si un cache nez avait réellement protégé des rhinovirus), que ce soit sous big brother chirin-jospac qu'on l'ai conceptualisé , n'en est que meilleur , emblématique
    son corollaire , c'est l'exigence de protection , sur le mode "j'ai bien mangé mes 5fruits-légumes/jour , j'exige qu'on vienne me chercher au milieu de l'atlantique/afwique noiwe/jungle balinaise/afghanistan lorsque je me suis vautré en planchavoile/safari de beauf/reportage chez les coupeurs de couilles"
    ou encore "j'ai bien rangé ma chambre , j'exige ce bonbique chimique que tu m'as promis!"

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  3. J'ai jamais rien dit contre le suicide, pratique perso où ni l'Etat ni la Médecine ni Mes Couilles ne viennent te dire quoi faire ni comment !
    L'euthanasie, c'est le suicide à la portée de tout le monde, bientôt remboursé par la Sécurité Sociale!!

    Xix, le bouquin, ce serait pas "le Job", par hasard? (si je mets la main sur l'enflé qui m'a pas rendu mon exemplaire du Job, wopppputain !)

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  4. En revanche Bacon, un des fondateurs de la modernité, est radicalement pour l'euthanasie. Science et médecine sont là pour améliorer la qualité de la vie (déjà ça c'est pas évident, mais acceptons).
    Le problème est bien qu'on a déjà vu certains ne pas hésiter à dire pour les autres quand la vie vaut d'être vécue. Du coup on peut se méfier. C'est là où je te rejoins (et où j'apprécie ces quelques paragraphes sur la subjectivité nihiliste).
    Mais penses-tu aux cas-limites ? Le type qui ne peut pas se suicider mais voudrait, que sa famille est pas ok ok pour l'aider, pkoi ne l'aiderait-on pas ? Sans doute parce que pour aider ce pauvre-là, on risque de mettre en place de quoi bien foutre la merde. Et là je place ma pub, un vieux billet, mais un argument que j'aime bien. http://www.morbleu.com/contre-mon-euthanasie-pour-un-argument-sans-morale/

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  5. Non, c'est un bouquin-compil d'interviews d'écrivains américains, tirés de la revue "Paris Review". Burroughs m'a l'air bien barré !

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  6. Bien barré, c'est le mot.
    Sinon, Luccio, j'aime bien ton billet.
    Parmi les arguments en faveur de l'euthanasie, on avance le sens des responsabilités des médecins (je meurs de rire), la dignité des familles (hou, là, là, la crise de larmes), et la perfection de la Loi (ça y est, j'ai claqué!). Je me souviens d'un passage du film "le colonel Chabert" où Fabrice Luchini, notaire, passe en revue les ignominies des familles pour déshériter un des leurs, pour faire enfermé comme fou celui qui gêne, passage grandiose. L'euthanasie, c'est une assurance préventive sur le meurtre, bordel !

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  7. C'est comme le reste, l'euthanasie, la peine de mort, le chômage, c'est toujours pour les autres ou de leur faute.
    Juste une étape de plus vers la déresponsabilisation. L'Etat, de la naissance à la mort.
    L'esclavagisme c'est dépassé, nous sommes des co-cons dans une couveuse. Born to be alive? Nooooo! Born to die! Yeaahhh!

    Séb

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