13 mai 2011

La civilisation foncière

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Bien que Michel Houellebecq et Jacques Attali déclarèrent tous deux que la France fait office d'hôtel, leur vision des choses est nettement différente.
Pour le premier, la France est devenue un hôtel, modelée graduellement sur la mondialisation, mais il semble le regretter. Je ne lui en veux pas de penser ainsi. La France s’est transformée en un Palace cinq étoiles qui finira en établissement miteux et comme lui, je bande gâteux pour elle désormais. Cependant, il s’y est adapté par intérêt, pas moi. Pour le deuxième, la France tient lieu de Relais & Châteaux par défaut et depuis toujours. Un complexe dont le prix rémunère le personnel technique dans le cadre de son bon fonctionnement. Vision typiquement néolibérale et venant d’un technocrate, c’est la moindre des choses.
À mes yeux, la France était un immeuble que je partageais en copropriété avec des millions d’humains, fait de 95 % d’andouilles selon l’équation Frêche. Une foule de gens dont je partageais le code d’entrée qui a désormais disparu en même temps que la porte et le gardien, sacro-sainte réduction des couts oblige. Des pékins que je préférais éviter, la philanthropie m’étant déconseillée par mes médecins. Mais il fallait bien en croiser quelques-uns de temps en temps, héler un semblant de discute pour maintenir un minimum d’envie d’y vivre et montrer sa frimousse au barbecue annuel comme devoir élémentaire. On appelait ça l’universalisme républicain de l’immeuble. C’était loin d’être une idéologie à laquelle j’aspirais, mais elle paraissait moins casse-couilles que toutes les organisations foncières d'antan.

On créa un syndicat de copropriété, élut un président et des employés au service de l’intérêt général, au sein même du lotissement, qu’on baptisa le syndicat biendechénou. Ce n’était pas parfait, mais tout s’passait pas si mal, excepté quelques guerres entre parcs immobiliers, dont une qui se termina après l’explosion atomique du hall d’entrée du bâtiment jaune à la bannière du soleil rouge. Chacun son colombin.
Et puis, l’ennemi apparut au coeur de l'assemblée, influencé par l’idéologie de l’étendard étoilé de l’autre côté du lac que l'on nommait le syndicat des Yankulees. Cette corporation était la plus puissante de toutes. C’était même elle qui avait nucléarisé le hall d’entrée de l’immeuble ambré, puisque ces derniers avaient lancé une attaque foudroyante contre un avant-poste d’ilotiers. Réponse radicale, mais convaincante. Ensuite, ils poursuivirent une guerre contre une guilde concurrente presque aussi maousse et néanmoins tout aussi relou, baptisée le syndicat de la vodka orange sanguine, mais dont la résistance fut écrasée, parce que son organisation se montrait vraiment incohérente et contraignante. Pis, ils avaient tendance à envoyer leur propre personnel en croisière sur le Styx.
Ces Yankulees disposaient d’une aura particulière et d’une large attention d’écoute. Simplement parce que dans le passé, ils nous sauvèrent de la prise de pouvoir d’un des syndicats les plus macabres de l’histoire de la civilisation foncière. C’était de grands zinzins, ceux-là. Ils s’amusaient à faire disparaitre, de façon industrielle, des copropriétaires spécifiques dans le local technique et souhaitaient retaper les habitants restants au bistouri pour qu’ils soient tous blonds aux yeux bleus, sans s’inquiéter des gouts préférentiels des principaux concernés. Il s’était appelé le syndicat de la compagnie du gaz. De fats psychopathes, tatillons au-delà de la raison sur les codes de conduites. Alors, après nous avoir sauvés, on les écouta religieusement. Et là, les problèmes commencèrent.
La guilde à la bannière étoilée étayait des arguments alléchants, une dialectique ensorcelante, un sens des affaires directif et surtout une arme de persuasion d’une efficacité redoutable, l’animation dans les halls d’escalier. Ils placardèrent des écrans partout et même dans nos propres salons, pour sois-disant nous divertir, nous tenir au courant de l’activité des autres immeubles et nous notifier ce qui était bien ou mal pour un meilleur vivre ensemble. Ils voulaient nous faire téter du biberon en somme. Ils appelaient ce concept, l’humanisme global foncier. Ensuite, ils déclarèrent la proscription de la singularité de chaque bâtiment. Désormais, tous se valaient, exception faite des membres de toutes les guildes.
Alors, on pouvait aller crécher où bon nous semblait et avec les plus vives recommandations du syndicat. Et là, le cauchemar s’enclencha !
Des millions de gens des immeubles les plus pourraves débarquèrent à nos portes. Putain, ça nous fit un choc ! Ils arboraient des sales gueules qui exprimaient des choses pas très catholiques et les coutumes les plus antagonistes qui soient. Deux exemples. Nous, nous mangions du porc, mais pas eux, car c’était le mal. Un animal à quatre pattes au gout appétissant devenu Satan ! Les salopards ! Nous, nous lisions de gauche à droite, mais eux de droite à gauche, rien que pour enquiquiner leur monde et toujours le même essuie-fesses en plus, ce qui limitait grandement les expériences interculturelles. Et puis, c’était des gens à problèmes, d’équations à dix inconnus ! Chouineurs à remplir des citernes. Alors, on les logea à la cave rectdi. Ça avait tendance à leur saler les nerfs d’ailleurs. Ils nous disaient que c’était un ghetto et on leur répondait que « n'importe quoi, c’est une cave ! » (on était des marrants dans notre genre, nous, dans le lotissement de l’oriflamme tricolore). Pour ça, on augmenta la superficie de leurs nouveaux logements à tel point que leurs surfaces étaient comparables à la hauteur de l’immeuble.
Avec le temps, les plus méritants réussissaient à obtenir un appartement perché, mais c’était assez rare, parce qu’ils ne sortaient pas du moule à en abattre des masses. Et puis chez eux, c’était un foutoir pas compréhensible. Plus bruyant et odorant, tu meurs, comme nous l’expliqua un ex-président du syndicat (qui pourtant se félicitait de cette situation en dehors des caméras !). L’envie de les avoir en voisin de palier était inexistante. Déjà que la réquisition de nos caves nous pressurisait les olives. Après faut être juste, même si certains fournissaient des efforts dignes de respect, les peluches à attraper étaient rares.
Mais de toute façon, c’était mouché d’avance. Les us et coutumes étaient trop éloignés à la base.
Ça, le syndicat le savait bien et feignait l'aveuglement. C’était même le plan. Il voulait détruire les mœurs et cultures des copropriétaires ainsi que ceux des habitants des caves pour que tous s’adaptent aux valeurs préconisées, par la guilde de la bannière étoilée, décrétées comme bien intentionnées et qui constituaient le bout du chemin de la civilisation foncière, parait-il. Si on gueulait que c’était plus possible, alors ils nous giflaient de fâcheux fachos (un ancien syndicat qui avait collaboré avec celui qui faisait disparaitre des gens spécifiques dans le local technique, souvenez-vous), nostalgiques des heures les plus encrassées de notre histoire, et ils poussèrent le vice jusqu’à se renommer le syndicat pludechévou.
Un jour, la corporation organisa un referendum orienté, scribouillé par un chevalier de l’ordre de Malte et ex-président de notre syndicat, encore plus pompadour que celui au nez et aux oreilles sensibles. Il nous demanda de prendre position en faveur d’un ensemble de lois pour une restructuration foncière globale. Le texte était un véritable rébus et là, on leur dit en masse « Hé ho ! On veut retrouver notre douceur de vivre, nos caves désinfectées et Danielle Gilbert à la télé » et, eux, mimant la surdité, nous répondirent « Youpi ! Merci ! On fera ça le plus vite possible ! ». C’était le début de la fin des haricots pour nous et des pois chiches pour les habitants des sous-sols.
Grâce à une arme mathématique d’une opacité proprement ahurissante, la crise vint boxer la civilisation foncière à la Mohamed Ali. Une large part des copropriétaires des étages, les moins aisés d’entre nous, perdirent leurs biens, pour soit finir à la cave avec les hostiles ou soit carrément à la rue pour en devenir un soi-même. C’était l’hécatombe en trombe, pour le plus grand profit des corporations qui reproposèrent les piaules à des conditions effarantes.
Aujourd’hui, la mafia des syndicats est en passe de réaliser son rêve le plus secret : la privatisation de l’ensemble des bâtiments et des appartements pour les transformer en hôtel. Toutefois, leur progression est freinée depuis l’apparition de deux autres puissants Léviathan, le syndicat du bol de riz souriant et le syndicat du Hezbougnoullah Global, aux mêmes visées hégémoniques.
Ainsi, Michel Houellebecq, pas vaillant pour un sou, changea carrément d’immeuble pour celui d’une autre bannière où les caves servaient encore à y loger des rats et du picrate, plutôt que de pauvres hères.

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