12 septembre 2010

Les FFD, La France aux mains des fils et filles de


Frédéric Teulon, économiste et auteur de nombreux manuels et essais, publiait en 2005 « Les FFD, La France aux mains des fils et filles de ». Résumé de l'essai trouvé chez Denis Touret. Lire aussi le billet sur Vilfredo de Pareto publié en novembre 2008 sur le CGB.

1 - LA CRÉATION DE L'ENA
En 1945, la création de l'ENA a permis de changer les règles d'accès à la haute Fonction publique. L'existence d'un concours d'entrée basé sur des épreuves écrites anonymes a créé un appel d'air, mais très rapidement l'école a été trustée par les enfants de cadres supérieurs et de professions libérales, «fils et filles de...» (FFD).

L'ENA a dû revoir sa nomenclature statistique pour rendre compte d'un phénomène qui dépasse tout ce que Pierre Bourdieu avait dénoncé. Ce ne sont plus seulement les enfants de la haute bourgeoisie qui tiennent les grands corps de l'État mais de véritables dynasties administratives: les familles Stirn, Postel-Vinay, Filippi, Boissieu, Lefevre d'Ormesson, Bas, Giscard d'Estaing, Denis, Buisson de Courson, Jacquin de Margerie, Bloch-Lainé, Debré, Rohan-Chabot, ]oxe, Andrieu, Chodron de Courcel, Schweitzer, Burin des Rosiers, Donnedieu de Vabres, Clermont-Tonnerre, Mentré...

En 2004, les nouveaux diplômés de l'ENA ont été rappelés à l'ordre par le ministre de la Fonction publique alors qu'ils s'apprêtaient à publier un rapport dénonçant la manière dont le directeur de l'école avait classé la promotion. Ils s'insurgeaient contre une évaluation des élèves fondée sur des critères arbitraires. Dans la «botte» - liste des quinze premiers de la promotion qui peuvent accéder aux grands corps (Inspection des finances, Conseil d'État et Cour des comptes) - on trouvait cinq fils d'énarques et un petit-fils de ministre.


Non seulement l'accès à l'école est fortement ségrégé, mais le classement final des élèves est «pipé». Le rapport rédigé par les élèves de cette avant-dernière promotion de l'ENA (et signé par toute la promo) souligne que les résultats aux examens et le rang de sortie résultent malheureusement de l'application de critères «généalogiques ». Selon ce rapport: «L'étude de la notation des élèves en stage de la promotion Léopold Sédar Senghor a permis de dégager certaines tendances, parmi lesquelles on trouve la valorisation de "talents généalogiques". En effet, les enfants d'énarques de la promotion se sont vu attribuer des notes de stage largement supérieures à la moyenne: l'intervalle des notes est compris entre 8,5 et 9,5 (contre un intervalle compris entre 5 et 10 pour l'ensemble de la promotion) et la moyenne de leurs notes s'élève à 9,3 contre une moyenne de 7,6 pour l'ensemble des élèves.
Il ne s'agit pas ici de nier les qualités et les compétences de personnes dont la valeur personnelle est évidente. Il convient de ne pas éluder le poids de l'habitus contre lequel il n'est pas nécessairement de la compétence de la direction des stages de lutter.
On peut en revanche s'interroger sur les techniques développées - ou non - par la direction des stages pour limiter la part de l'aléa qui s'attache nécessairement à une épreuve par essence non anonyme. Cette pratique est d'autant plus critiquable que le rapport de stage conditionne assez largement le classement final. »

Si les enfants d'énarques constituent à peu près 0,01 % d'une classe d'âge, ils représentaient 4,5 % du total des élèves de la promotion 2003/2004 et occupaient 28 % des postes offerts dans les grands corps. Au final, 83 % d'entre eux sont sortis dans la «botte», contre 10 % pour les autres. Il ressort de cette situation un fort sentiment d'injustice: l'entrée dans l'École et le classement de sortie relèvent plus de la position sociale des candidats que du mérite. Le match est truqué et l'arbitre n'est pas impartial.
Les FFD, Introduction, p. 13-15

2 - LE SHOW-BIZ
Le recrutement des acteurs, comédiens, animateurs ou réalisateurs est devenu caricatural. Le show-business et le monde des médias (cinéma et télévision) sont les secteurs qui illustrent le mieux la crise de la mobilité sociale et l'ampleur actuelle du népotisme.

Dans le cinéma, il y a beaucoup de postulants et très peu d'élus, être la «fille de» Daniel Auteuil ou avoir pour mère Romy Schneider ou Nathalie Baye facilite grandement les choses. Les népotes du show- biz ont pris l'habitude de mobiliser leurs réseaux pour placer leurs enfants dans le générique des films. La situation devient ubuesque lorsque les enfants sont officiellement et publiquement adoubés par leurs propres parents: Antoine de Caunes et Gérard Depardieu viennent sur la scène remettre un oscar à leurs filles Emma et Julie. Ce qui aurait pu être une scène burlesque d'un film avec Groucho Marx (La Soupe aux canards) n'est qu'une triste comédie humaine; les népotes du show-biz, à la fois juge et partie, intronisent leurs enfants en fanfare et sous les projecteurs.
Ibidem, show-biz, p. 25

3 - TÉLÉRÉALITÉ, LA MACHINE À RÊVE
Dans la nuit du 28 avril 2001, Loana et Jean-Edouard batifolent dans la piscine du Loft sous les yeux de téléspectateurs voyeuristes et/ou insomniaques. Ces ébats aquatiques plongent la France dans l'ère de la téléréalité. Loft Story, version française de Big Brother a gagné son pari. Loana, jeune femme un peu paumée, est tirée de l'anonymat par M6 et devient pendant quelques semaines une vedette.
L'émotionnel, le sensationnel et le divertissement sont les ressorts de la télévision commerciale et de la téléréalité. Parodie de mobilité sociale, la téléréalité correspond à une des transformations les plus insidieuses du petit écran.
La télévision vend du rêve, de la mobilité sociale basée sur un fantasme, en s'inspirant des jeux de hasard: tu mises, donc tu peux gagner. Les téléspectateurs s'identifient à de jeunes inconnus auxquels ils veulent donner une chance qu'ils n'ont pas eue, tout en se disant: «Ce pourrait être moi». En d'autres termes, ils délèguent le rêve qu'ils ne peuvent vivre. La téléréalité est devenue le nouveau miroir aux alouettes.
Ibidem, p. 45

4 - L'ILLUSION DE LA DÉMOCRATIE DIRECTE
Dans un monde où les puissants sont impliqués dans des scandales financiers qui restent impunis, où les politiciens affabulent, où l'on «vend» des guerres sous de faux prétextes, le public s'interroge sur ce qui est vrai. Dans les émissions de téléréalité, les situations sont artificielles, mais les comédiens ou chanteurs ne sont pas des professionnels de la communication. Ainsi, il est plus facile de déterminer ce qui est faux dans leur discours. Le consommateur d'images juge, vote et a l'impression de retrouver un peu de pouvoir. L'audience (les émissions qui ne marchent pas ne sont pas renouvelées) et le vote (les candidats qui déplaisent sont éliminés) font émerger l'illusion d'une démocratie directe télévisuelle.

La télévision populaire donne la parole aux petites gens, elle fait fuir les aristocrates de la pensée. Affalés sur le canapé de leur salon, les électeurs zapent et transforment leur télé en diaporama, ils votent, plébiscitent de nouveaux princes et coupent des têtes.

La déliquescence de la classe dirigeante, l'hypocrisie des népotes, le mensonge et autres magouilles des hommes politiques sont les meilleurs soutiens de la téléréalité, véritable défouloire d'une société en prise avec ses frustrations, sa passivité et son immobilisme. Les élites estiment que ces émissions populaires et vulgaires produisent toujours le pire et jamais le meilleur. Elles feignent de ne plus comprendre une télévision qu'elles qualifient de «poubelle », mais qu'elles ont elles-mêmes indirectement fabriquée!
Ibidem, p. 51

5 - LE PUBLIC EN «REDEMANDE»
Le népotisme dans le show-biz, le culte des enfants de vedettes, l'influence exorbitante prise par la télévision et les succès de la téléréalité sont aussi le résultat d'une demande de la part du public.
On ne peut accuser uniquement les dirigeants de chaînes de télévision et les producteurs de cinéma d'être les responsables du culte des vedettes. Fascinés par la vie des people, les Français ont une télévision et des spectacles qui répondent à leurs attentes.
Ibidem, p. 53

6 - DUR DUR D'ÊTRE UN ENFANT DU SHOW-BIZ
Fascinée par la JET SET et par les enfants des people, Madame Michu ne voit pas l'envers du décor: une fois le rideau tombé, de nombreux «fils et filles de...» se confient. Certains ne se sont jamais remis d'avoir été abandonnés par des parents absentéistes. D'autres se plaignent d'être écrasés par la personnalité paternelle ou maternelle (cas des parents castrateurs).
Le public applaudit le spectacle qui se déroule sur la scène, mais les FFD rament dans les coulisses.

Les difficultés relationnelles entre les parents et les enfants trouvent un écho particulier dans le show-biz, milieu médiatisé, fermé et surprotégé: une partie des FFD éprouve des difficultés à gérer les relations avec leurs parents célèbres. Résister à une figure parentale trop forte est un exercice difficile, peu nombreux sont ceux qui en sortent indemnes. Placés sous antidépresseurs, les FFD sont intarissables sur le thème du «Papa,(~an, mes névroses et moi. »
Ibidem, p. 61

7 - LA POLITIQUE
Le système politique connait de graves dysfonctionnements qui empêchent le renouvellement des élus ou des responsables des partis.
Il est vrai que les politiques aiment s'entourer de personnes dont la loyauté ne fait pas le moindre doute. Une trahison peut briser une carrière et les «amis de trente ans» ne sont jamais totalement sûrs. L'embauche de parents ou de proches donne plus de garanties. Si la politique offre un terrain propice au népotisme, c'est aussi parce que les compétences requises sont difficiles à définir. Tout le monde peut espérer avoir le profil, même le copain du copain. Comme le disait Françoise Giroud: «Les femmes seront vraiment les égales des hommes lorsqu'on les nommera à des postes pour lesquels elles n'ont aucune compétence. »
Ibidem, p. 73

8 - LA CULTURE
Si la politique tend à devenir une affaire famille du fait d'un dévoiement inacceptable de la démocratie, la littérature et l'écriture ont toujours été des activités traditionnellement dévolues aux enfants de milieux favorisés (et aux professeurs de lettres). La dérive actuelle est liée au fait que le nom de famille tend à devenir un argument décisif dans la décision de publication ou dans la manière dont la critique accueille un nouveau livre.

La reproduction sociale et le népotisme jouent à plein dans un secteur ou l'on pourrait, à juste titre, penser qu'il n'est pas possible de tricher (si un livre n'est pas bon tout le monde s'en aperçoit et seul l'auteur en est responsable).

Notons que tous les livres ne sont pas de la littérature au sens noble du terme, les essais, les manuels scolaires ou les livres pour enfants représentent des segments du marché de l'édition qui sont plus ouverts aux talents d'origines diverses.
Ibidem, p. 85

9 - LE BUSINESS
Il n'est pas possible de mettre sur le même plan, le népotisme qui prévaut dans le show-biz, la politique et la culture avec celui qui touche le monde des affaires.
Les familles d'entrepreneurs sont la colonne vertébrale de l'économie et des bâtisseurs de richesse. La transmission du capital et des fonctions de direction est essentielle à la survie du tissu commercial et industriel. D'ici à dix ans, près de cinq cent mille entreprises vont changer de mains en France. Qui prendra le relais des dirigeants qui partiront à la retraite, 5i ce n'est la plupart du temps leurs enfants? La transmission du statut social a ici une très forte légitimité. Néanmoins, les abus deviennent de plus en plus criants. Comment justifier l'existence de dynasties à la tête de grandes firmes multinationales, alors même que la famille fondatrice ne possède plus qu'une partie infime du capital?
Ibidem, p. 93

10 - LES RAVAGES DE MAI 1968
Le refus de la sélection à l'école, le pédagogisme, la remise en cause du contenu des cours et de l'autorité des maîtres sont des conséquences directes de la crise de mai 1968.
En détruisant l'école, en dénonçant les hiérarchies et en promouvant la logique du « tout marché », les soixante-huitards ont cassé le moteur de l'ascenseur social. Puis, ils se sont engouffrés dans le carriérisme en oubliant rapidement la classe ouvrière qu'ils avaient un moment portée aux nues. Leurs enfants leur ressemblent. À l'origine de la contre-culture des années 1960, les « baby boomers» ont perdu le goût de l'aventure. Désormais ce sont l'argent et les relations qui ont la parole.
Ibidem, p. 129

11 - L'IMMOBILITÉ SOCIALE
Pour éviter la sélection des élites à l'envers, la mobilité sociale est plus que jamais nécessaire. Dans les années 1950-1960, des flux importants de mobilité assuraient la circulation entre les différentes couches de la société, la régénération de la classe dirigeante et, in fine, la santé du corps social.
Aujourd'hui, aux niveaux les plus élevés de la hiérarchie sociale, l'immobilité est devenue la règle. Par nature, l'élite pratique l'entre-soi et elle est peu encline à s'ouvrir. Toute classe dirigeante risque de s'emmurer dans ses certitudes et de bloquer l'ascension légitime d'individus doués, mais mal "nés".
Lorsque les membres de la classe dirigeante n'ont plus conscience de leurs responsabilités, seules les révolutions, les guerres ou les crises politiques peuvent modifier profondément le recrutement des élites.

Ibidem, p. 159

12 commentaires:

  1. Après l'éducation populaire :

    http://www.culturalgangbang.com/2010/09/le-probleme-des-retraites-est-une.html

    Voilà maintenant que vous nous refilez de la sociologie critique sauce Bourdieu. De mieux en mieux !

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  2. @ Parachutiste

    Après l'éducation populaire :

    http://www.culturalgangbang.com/2010/09/le-probleme-des-retraites-est-une.html

    Voilà maintenant que vous nous refilez de la sociologie critique sauce Bourdieu. De mieux en mieux !


    C’est que tu n’es qu’un vilain docte, parachutiste, incapable de faire la séparation entre une analyse et les solutions préconisées. Fabius, ce grand con, avait dit du FN, un truc du genre (je ne peux pas le citer littéralement) « les analyses du FN sont les meilleurs de tout l’échiquier politique, mais leurs solutions sont à éviter ». Bien sûr, c’est le point de vue de Fabius, mais on peut dire la même chose de certains penseurs de gauche. Chez Bourdieu, toutes ces analyses ne sont pas à éluder d’un revers de main, certaines sont idiotes, d’autres tombent juste. C’est ce qu’on appelle faire la part des choses, séparer le bon grain de l’ivraie, en fait, penser par soi-même. La bêtise du 100 % à gauche n’a rien à envier à celle du 100 % à droite. Je ne sous-estime jamais les droitards, dont j’y suis sensibilisé plus qu’à gauche, pour faire sienne la mentalité d’une élite impie qui s’est coupée du peuple et s’est déresponsabilisée envers elle. À moins que tu sois « FFD », laisse donc Bourdieu de côté, et relis-moi ça en te posant la question si la reproduction des élites va dans ton intérêt.

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  3. b, dubitatif (mais tenace)12 septembre 2010 à 18:50

    Moui, en gros, l'élite tend à se conserver des places pour rester l'élite.
    C'est la Société du Spectacle, ça. Guy-Ernest Rulez !

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  4. Si beaucoup des constats faits dans ce texte sont juste, on s'étonnera cependant tout particulièrement de la légitimation de la transmission héréditaire du pouvoir économique. Comme si chez les requins on trouvait de lignées de mangeurs d'algues! L'argent n'appelle qu'à l'argent, c'est une logique de profit universelle, qui écrase les hommes. Un patron vaut un patron, aussi surement qu'un piège à loup en vaut un autre.

    Mais au contraire, dans le domaine du pouvoir politique, le pouvoir roi, celui qui contrôle les armes, celui qui par dessus tous se doit d'être fidèle à une éthique, d'avoir un honneur, une vision, là par contre, hors de question d'envisager l'hérédité du pouvoir. Il ne faut jamais remettre en cause la démocratie: c'est nazi. Mais c'est bien la démocratie qui est responsable de ces élites FFD, non? Qui irait voter pour un inconnu? Qui irait voter pour un hors partis? Le jeu démocratique est en fait un hochet pour enfant naïf, il est mille fois pipé comme la télé-réalité.

    Il faudra bien réaliser un jour que tout cela n'est qu'une grande arnaque, de fond en comble, et pas seulement en surface.

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  5. @ Paracelse

    Tout à fait de votre point de vue. Qu'est-ce vous a fait penser le contraire ?

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  6. b, dubitatif (mais tenace)12 septembre 2010 à 21:44

    Ce n'est pas en rapport avec la démocratie, je dirais. Je pense que le discours de fond des élus-héréditaires et des fils-de-patrons c'est : nous on connait les ficelles, tant pis pour les autres, ils voteront pour ce qu'on leur donnera à voter.
    Pas une question de génétique, mais d'épigénétique et de connaissance du système. Jean de Neuilly et Arnaud-de-Paris ont sauté sur les genoux des patrons de banque. Kevin-de-Trappes et Khader-de-Massy, ce qu'ils connaissent du système, c'est la BAC.

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  7. Bibi canard est un gentil13 septembre 2010 à 08:54

    @ B

    Oui enfin Kevin et Khader pourraient tout aussi bien passer le Bac plutôt qu'attendre celle-ci avec des briques la moitié de la nuit, ç'est mauvais pour la mémorisation . Quand à la démocratie aucun rapport effectivement, ça ferait plutôt épioligarchie cette affaire.

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  8. Valeur travail et dialectique13 septembre 2010 à 12:46

    On peut peut-être, histoire de mettre tout le monde d'accord et de réaliser la synthèse façon Hollande au congrès des jeunes socialistes de Corrèze, envisager que Kevin et Kader mettent à profit le temps passé à attendre la BAC pour réviser le Bac.

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  9. Lorsque Kévin, issu de Trappes, apprend par coeur les livres d'économie et connaît les philosophes, et qu'il arrive avec un Master 2 en droit privé (obtenu avec mention bien dans la meilleure université de Paris), Kévin tente tous les concours administratifs haut de gamme, après une année de prépa : ENA, ENM, administrateur territorial, directeur d'hôpital, les affaires étrangères...
    Kévin croit dans la méritocratie républicaine. Il sait tellement de choses, et on l'a toujours si bien noté du CP au Master 2, qu'il est sûr de réussir, n'est-ce pas ?
    - Dans tous ses concours, Kévin réussira brillamment l'écrit avant échouer à l'oral. De visu, on le trouvera trop pâle ou trop bronzé, trop timoré ou trop véhément, trop laconique ou trop verbeux, trop jeune ou trop vieux, trop diplômé ou trop inexpérimenté, en un mot, trop trop. On lui posera des questions pièges, auxquelles il n'y a pas de bonnes réponses. On lui adressera des remarques vexantes. S'il les relève, il est insolent ; s'il laisse passer, il est faible. On lui demandera s'il a déjà travaillé : s'il répond la vérité ("oui, chez McDonald's"), on lui fera un méchant sourire qui veut tout dire. S'il répond : "non", on blâmera son manque d'expérience. Il aimerait dire qu'il a travaillé dans le cabinet d'avocat de son papa, mais non. Son papa n'est que chômeur depuis 15 ans, ex-ouvrier ex-communiste qui ne sert à rien. Et ces choses-là ne se disent pas.
    Et on lui mettra la note éliminatoire, parce qu'il n'est vraiment pas comme nous, ce Kévin. Avez-vous vu son prénom ? C'est une racaille, il est inculte.
    Alors Kévin, désespéré, s'inscrit en doctorat. Ayant trouvé un directeur de thèse réticent, il n'obtient pas de financement malgré ses quatre demandes ; et puis les bourses d'études n'existent plus, passé le Master 2 ; et l'on ne peut pas travailler et faire une thèse en même temps. Adieu le doctorat.

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  10. Alors Kévin tente des concours administratifs inférieurs : inspecteur du trésor, les douanes, les IRA, bibliothécaire, etc. On lui fait remarquer que son CV présente un trou de deux ans. Pourquoi ? Parce qu'il a préparé l'ENA et l'ENM, et qu'il a mystérieusement échoué en ayant les meilleures notes à l'écrit. "Alors, vous échouez l'ENA, et maintenant, vous tentez ce concours pour vous caser ? Vous êtes désespéré, c'est cela, vous trouvez que la fonction publique est une voie de garage, que l'on accepte n'importe qui ? Et avec vos diplômes, pourquoi n'allez-vous pas faire avocat ? Vous n'avez rien à faire ici."
    Rejeté une fois de plus, Kévin tente le concours du barreau. Le jury trouve qu'il pue un peu de la gueule, ce Kévin, parce qu'il habite avenue Nelson Mandela à Trappes, qu'il est mal habillé (il n'a pas touché un euro depuis des années) et qu'il a déjà quitté la fac depuis 3 ans. "Vous avez peut-être eu une mention bien, mais votre diplôme n'est plus à jour. Toutes les lois ont changé, et la jurisprudence. Avez-vous fait un stage en cabinet d'avocats, pour rester à niveau ? Non ? Parce que vous prépariez l'ENA ? Mais alors, vous échouez dans tout ce que vous faites, vous !"
    Kévin, 27 ans, sans travail, ayant tout raté avec les meilleurs diplômes, envoie alors des CV partout, pour devenir juriste d'entreprise. On trouve ses diplômes trop vieux ; il n'a pas d'expérience ; il ne fera pas l'affaire. Et il n'est pas recommandé.
    Kévin, qui est entreprenant, voudrait finalement monter une affaire. Chef d'entreprise ! Il a de bonnes idées commerciales, il a étudié la question à fond, l'opération serait profitable, mais comment faire sans argent ? Il faut un financement. Kévin ne connaît personne. Son banquier ne lui accorde aucun prêt, car où sont les garanties ? De plus, vous avez 28 ans, vous n'avez jamais travaillé, et vous voudriez jouer au chef d'entreprise ? Allez donc travailler comme les autres, monsieur.
    Kévin ne fait plus rien. Il écrit sur Cultural Gang Bang, en attendant de se faire sauter la tête.
    C'est l'histoire d'une élite perdue pour la France.

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  11. Ce qu'il y a de bien avec les aristos, c'est qu'ils ne se reproduisene qu'entre eux, de sorte qu'il deviennent des crétins en fin de race et qu'ils s'éteignent tout doucement (tout doucement car ils sont tenaces comme des cafards).
    Un peu comme le soleil dans quelques milliards d'années mais en beaucoup moin noble, il grouilleront de moins en moins.

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