16 octobre 2009

L'ultime spectacle de Zangô Tralpak - 7/8


Retour à Paris.

- Michel Bronin-Michel est devant le théâtre depuis le début de cette dramatique affaire et il nous donne les dernières informations la concernant. A vous Michel...
- Oui, pas beaucoup de choses à dire en fait, si ce n’est qu’il semble que l’auteur de cette pièce folle, Zangô Tralpak, soit mort hier soir en se suicidant en scène. On se rappelle la haine qu’il vouait aux admirateurs de Molière; peut-être a-t-il voulu dépasser le fondateur du théâtre français pour leur signifier qu’on pouvait finir mieux si on s’en donne les moyens. En fait, les informations les plus contradictoires circulent ici au sujet du dénouement de l’Ultime spectacle de Tralpak : cessera-t-il avec la mort de son auteur ou continuera-t-il après lui ? J’avoue que personne ici n’y comprend rien.

A la reprise de la pièce, les deux femmes survivantes se lancèrent l’une contre l’autre furieusement, en un combat de primates pour le droit à la reproduction. L’une d’elle, curieusement la plus jeune, finit sa vie sous le poids d’une énorme armoire métallique que l’autre lui fit choir sur la tête. Elle mit à mourir le temps de la représentation.
Dans le public, les transformations les plus inattendues se produisaient. L’atmosphère de huis clos, le sentiment de solidarité que donnent l’enfermement et l’épreuve subie en commun, le sentiment d’assister en direct à la véritable fin de l’humanité, tout cela renversait les convenances habituelles et rapprochait les gens de leur personnalité profonde. Certains couples se formaient, d’autres copulaient en attendant la reprise de la pièce, comprenant que les réserves et les pudeurs n’avaient plus cours; des personnes d’ordinaire volontiers athées, confondant enfin théâtre et réalité, se lançaient dans des transes mystiques dignes de Saint Bernard, exhortant l’humanité à se repentir avant la fin de ce que personne n’appelait plus un spectacle. On vit une mémère sacrifier, oui sacrifier son chien peigné amoureusement chaque jour depuis douze ans, en le sciant en deux au moyen d’un parapluie aiguisé. Barbouillée du sang de son toutou, elle mourut d’une attaque cérébrale peu après dans l’indifférence générale.
Un communiqué du Ministère de l’intérieur fit beaucoup rire cette foule envoûtée :


Communiqué du Ministère de l’Intérieur
République française
Liberté. Égalité. Fraternité.
30 janvier 2000

La pièce de théâtre intitulée l’Ultime spectacle de Zangô Tralpak est déclarée hors-la-loi. Ses représentations présentes ou à venir sont interdites sur tout le territoire de la République. Toute publicité, prosélytisme ou citation à son sujet sont également interdits sous peine des amendes prévues aux articles 7 et 8 du Code Pénal. Toute personne refusant de dénoncer ces représentations ou n’intervenant pas pour les empêcher sera poursuivie par le Ministère Public. Les actrices et acteurs jouant dans cette pièce ou dans ses représentations futures encourent six mois de prison.

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La vieille
Tu vois, il ne reste plus que nous.

Simon
Crois-tu que ça m’enchante ? La seule femme que je puisse contempler à des rides plein la figure et les seins affalés !

La vieille (devenant dure)
Ecoute-moi, imbécile ! Tu te crois peut-être à la plage, dans une boîte de nuit ? Tu crois que tu peux tranquillement faire ton choix parmi les jouvencelles qui n’attendent que d’être choisies ? C’est fini tout ça, il ne reste plus que toi et moi, et l’un de nous doit survivre.

Simon
Je t’étrangle et on n’en parle plus...

La vieille (brandissant le révolver perdu de l’Etranger)
Tu n’étrangles personne, insecte ! Tu vas faire gentiment ton devoir, c’est-à-dire me baiser. Je serai la mère du monde à venir. Tu seras le père, mais tu ne seras plus là pour voir ça. Ha ! ha ! ha !

Simon veut s’enfuir mais se cogne aux décors du plateau, et la vieille lui barre enfin la route. Il est apeuré et comme rendu fou par la menaçante voix de la vieille. Ses yeux sont exorbités comme ceux des biches à l’hallali.

La vieille
Allez, tu auras au moins la satisfaction de finir ta vie dans une explosion de plaisir. Envoies-toi en l’air ! Ah ! C’est drôle ça : envoies-toi en l’air !

Simon et la vieille se lancent alors dans une scène d’amour incroyable, l’amour qui enfantera la mort. Pressant le canon du flingue sur l’oeil de Simon, la vieille l’exhorte à plus de vigueur, écartant impudiquement ses jambes rouillées. Le public, qui a déjà vu bien des choses pourtant, ne peut retenir des mouvements de frisson. Pendant tout le coït, la vieille ne se départit pas d’un rire ignoble où s’exprime, dominant tout, le sentiment vil du triomphe. Simon besogne dans les larmes. Mais au moment où il éjacule, moment qui doit signifier pour lui l’arrêt de toute chose, la vieille est prise de convulsions inattendues : elle jouit. Son vieux corps abandonné se remet à fonctionner. Relâchant sa surveillance et baissant son arme, elle permet à Simon de s’extraire de son étreinte et de lui arracher l’arme. La voilà toute con.

La vieille
Tu vas me tuer, c’est ça ? Tu vas tuer l’espoir que je porte en moi, ton propre fruit ?

Simon
Arrête tes conneries vieille peau, tu ne portes rien du tout. Tu n’es qu’un sac percé dans lequel je vais faire de nouveaux trous. Crève donc !

Simon appuie sur la détente, plusieurs fois, inondant la salle d’une fureur bestiale. Maintenant qu’il a tué la vieille qui le menaçait, il semble libéré, serein. Son visage crispé par l’angoisse se détend et fait apparaître non de la beauté, mais une apparence de plénitude, l’image humaine de la satisfaction. On dirait qu’il ne joue plus. Il marche, un peu désorienté, sur le plateau silencieux. A sa mine, on comprend qu’il découvre son univers, comme au sortir d’un très long rêve. Il est le dernier survivant de l’Ultime spectacle de Zangô Tralpak. Demain, il entrera en Paradis. Lentement, il ôte ses vêtements, un à un.

A suivre

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