2 septembre 2009

Mon professeur va cracker


Tout va bien. C’est la rentrée. Tout va bien. Les troupes de professeurs de l’Education nationale étaient de retour hier dans les collèges et lycées. Entre aguerris et novices, toute la valetaille enseignante papillonnait déjà autour des machines à café entre deux réunions pédagogiques et un plan anti-grippe séraphique. Tout va bien. On l’a vu à la télé. Tout va bien. Le corps enseignant se porte comme un charme. Après tant de vacances, comment pourrait-il en être autrement ? Et visez un peu les locaux : du verre, de l’acier, du hightech. Tout est clean, propre. Une vraie morgue. Tout va bien. Tout est prêt pour recevoir les petits anges, « nos petites têtes blondes » ?... Tout va bien. Solidarité, interdisciplinarité et informatique pour tous, le corps enseignant gigote sous glotte. Et au diable vauvert sa tête, qui a roulé il y a longtemps dans une cagette en osier !... Tout va bien. Tout est prêt pour l’accueil des zombies à PSP et téléphone portable (faut-il l’interdire dans l’école, demandait-on ce midi sur I-TV. Qu'en est-il du style SMS sous stylo ?), casquette ou pantalon slim, tchador ou mini jupe stretch. Tout va bien. Et l’Administration, comme tous les ans, y a particulièrement veillé…


L'école des canes (et canards)


« Le plus beau métier du monde »… Du Candide de Voltaire… « Le plus beau métier du monde », « entre les murs »... « Entre les murs » ? « Toi qui entres ici, abandonne tout espoir… » Oublie. « Entre les murs », tout le monde est otage. Abandonne, oublie. Des otages, de part et d’autre du bureau. On aimerait dire de part et d’autre de la chaire, mais l’axiome de communication horizontale, de pédagogie ouverte, a gommé jusqu’aux estrades. La communication néopostféodale ne tolère pas le piédestal. On parle d’homme à homme, de femme à femme. La Révolution, à la découpe ! Et on a plus à faire qu'avec les narcissismes concurrentiels. Le relativisme culturel et la logique du tout égalitaire pavent les avenues en Enfer.


C'est la récré !


Il faut plier. Il faut concéder, s’adapter. Syndrome de Stockholm et loi d’la jungle. Le classique, c’est un attentat au slim et au baggy ! Il faut s’adapter, concéder. Il faut plier. Il faut capter. Capter l’attention des auditoires de bulots et autres bonobos. Orelsan est bien « le seul écrivain potable depuis Victor Hugo ». « Kif kif demain », bientôt au programme du bac céfran !
L’Education nationale « Fabrique du crétin », on ne reviendra pas dessus. C’est foutu. C’est tout fait, car c’est orchestré, mené à la baguette, apparemment mûrement réfléchi. Tout va bien ? Alors pourquoi cette jeune enseignante, assise sur le trottoir devant l'bahut, en pleurs sous la pluie ?


Salle des professeurs


Le corps enseignant n’est pas un corps homogène. Il faut y gagner ses galons. « Faites un vœu ». Parlez-vous le TZR (titulaire sur zone de remplacement) ? Non ?
Le TZR est un professeur titulaire sans poste fixe. N’ayez pas peur des excès langagiers. Tous les ans, à l’approche de la rentrée, le TZR tremble… Pas par peur de la ZEP. Non. Le milieu naturel du TZR, c’est la ZEP de Seine-saint-Denis. Il s’y est fait. Il s’y résigne depuis les résultats du CAPES au sortir de l’IUFM. Pourtant, tous les ans, à l’approche de la rentrée, le TZR tremble… Oui, il tremble, car il y a pire que le pire. Et le pire appelle le pire : pire to pire. Il tremble. Il tremble malgré les trois vœux d’affectation qu’il a formulés quelques mois plutôt au rectorat. Oui, ça commence pourtant comme un conte de fées… Mais ses vœux, il sait qu’il peut se les foutre recta dans l’rectum, car le rectorat est au mieux un mauvais génie...


Faites vos voeux


Pourquoi cette jeune femme effondrée sous la pluie battante ? Parce que six ans d’expérience en collège et voilà que les planqués du rectorat l’ont collée pour l’année en lycée. Son affectation ne lui est parvenue que la veille, le 31 août. Elle n’est préparée à rien. Tant que le pire n’est pas advenu, on peut faire comme si, comme ça. Une fois qu’il se présente, le dos trempé est collé au mur… Tout va bien. L’Administration y travaille. Elle y travaille en multipliant les affectations en inadéquation parfaite avec les expériences professionnelles des TZR. Enseigner au collège est un métier aussi différent qu'enseigner au lycée ou en primaire. Pourquoi pas affecter un maître des écoles en lycée ? Une autre jeune enseignante est là. Elle tente de réconforter sa collègue, qu’au demeurant elle ne connaît pas : TZR aussi, elle a cinq ans d’expérience en lycée. Elle doit être satisfaite alors. Non m'indique-t-elle : « Mon affectation pour l’année dans ce lycée, reçue vendredi dernier, est caduque. Je viens de l’apprendre dans le bureau du proviseur qui ne m’attendait d’ailleurs pas. J’ai toujours enseigné en lycée. Je pars à l’autre bout du département pour travailler dans un collège… Tous les ans c’est le stress. On est vraiment à la merci des pochettes surprises du rectorat. »

« A la merci"… Pendant ce temps, à la télé, tout va bien merci ! Les sujets se succèdent sur des enseignants d’âge mûr, certes un peu blasés, mais bien accrochés à leurs places. Coup de téléphone au SNES, syndicat d’enseignants de gauche et au SNALC, syndicat d’enseignants de droite : « Nous sommes surchargés par les appels des TZR… »


TZR


Fabrique du crétin et un élément de réponse, factuel, imparable : l'introuvable quête d'efficacité de l'Administration. Fabrique du dépressif ! Pendant ce temps, les stratèges à RTT du rectorat adoptent selon les témoignages recueillis des comportements dignes des pires responsables des départements Ressources humaines du privé : fins de non recevoir, ton sec, péremptoire, « Et ça, c’est quand on a de la chance ». Des téléphones qui sonnent inlassablement dans le vide… Le téléphone pleure.


"Zéro de conduite ! Vous serez exclu deux jours !"


Quel recours ? Aucun : « Si l’on refuse notre affectation, nous sommes considérés comme défaillants. C’est la porte et sans droit Assedic ! On n’a pas l'choix, à moins d’avoir un bon ami médecin », finit par rigoler l’enseignante qui se tient encore sur ses pieds, avant d’ajouter en épilogue : « Etre prof, c’est prendre 15 ans ferme. Si nous partons avant ce terme, nous sommes déchus de nos cotisations retraite. » Décidément, les professeurs ne sont pas des travailleurs comme les autres…


Des copies à corriger ?


Et puis finalement, tout cela n’était que préambule. Le cahier de doléances des TZR se rédige sous mes yeux. Les anecdotes abracadabrantesques sur les collègues se succèdent. L’enseignante toujours debout sort littéralement de son « devoir de réserve », la loi du silence du fonctionnaire… Le TZR est "corvéable à merci". "Ils nous envoient au casse-pipe sans logique, sans scrupule ni soutien". La conversation finit par se focaliser sur un professeur ayant « craqué » en février dernier après 7 ans de bons et loyaux services. Elle me raconte les passages devant les commissions, les responsables RH et les psychologues de l’Education nationale, véritables juges et parties, dont la fonction est de mettre insidieusement la pression sur tout professeur récalcitrant via une tactique de culpabilisation. Elle me narre l’effroyable vide, l’absence totale d’accompagnement et de solidarité envers un individu qui a pourtant donné sa santé mentale en pâture au service public de l’enseignement. Et la tartufferie inhérente aux salles des profs, leur sclérose mentale affreusement binaire, et l’artifice du bloc du corps enseignant...


Bonnet d'âne


Pendant ce temps, le néo ministre de l’E(mbrouillamini)ducation nationale, Luc Chatel, déjà entaché médiatiquement pour une grotesque affaire de mise en scène au rayon fournitures scolaires d’une enseigne de la grande distribution de Villeneuve-le-Roi (mairie UMP), demande solennellement aux élèves ce qu’il faut changer au lycée. Pendant ce temps, les journalistes s’amusent dans les cours de récréation, en prenant bien garde, apparemment, de ne pas filmer la misère. Pendant ce temps, les syndicats enseignants n’abordent jamais le problème. Au piquet, en place de grève ! Si les TZR pouvaient user de leur droit de retrait, y'aurait peut-être moyen de jouir... Déserter la désertification.


Enseignant nostalgique à bedaine et badine


Tout va bien. A part ça, tout va bien.

8 commentaires:

  1. "la tartufferie inhérente aux salles des profs"

    La salle des profs est ce qui se fait de mieux en ce moment en matière de théâtre contemporain.

    Distribution impeccable des rôles, dialogues ciselés...
    Du grand art.

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  2. K , vous compter fêter l'anniversaire du parrain ?

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  3. Quelle bonne idée, d'autant plus que coquet comme il est... il ne doit pas avoir envie qu'on sache qu'il vient d'avoir 40 ans.

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  4. "Distribution impeccable des rôles, dialogues ciselés...
    Du grand art."

    L'EN ou le CGB, il faut choisir !

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  5. Outre l'histoire des figurants dans le supermarché, il semble que, pour sa rentrée, Chatel ait rendu un dossier de presse bourré de fautes d'orthographes... Même Francois de Closets n'en aurait pas fait d'aussi énormes...

    En bref, avec pareil individu issu du domaine de la com', ils ont du souci à se faire dans l'Éducation Nationale, déjà que ça allait pas fort...

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  6. sous entendu Lé(s)tat : pour faire la révolution, commencer par faire éclater l'Administration.

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  7. Mais non Guy vous n'y êtes pas, pour faire la révolution il faut commencer par sortir le sachet du congélo. Le laisser une heure dans l'eau chaude (une heure qui peut être mis à profit pour rédiger un billet anti-émasculation des classes mâles-moyennes) puis l'ouvrir. Ensuite enfourner le contenant au micro-onde. Voilà c'est ça la révolution internet. Vous en connaissez une autre ?

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  8. Oui et j'connais ta mère en plus Raoul.

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