9 octobre 2008

Think academy

Le dernier numéro de l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur est consacré aux "intellectuels" avec à la clé un top 50 des "stars" de la pensée. La "pipolisation" touche évidemment nos pauvres clercs.

Ami lecteur du CGB, toi aussi tu peux t'amuser à relever les omissions, les oublis, les palinodies de cette enquête torche-cul libéral-libertaire et de ses blondes sous valium (Aude Lancelin).

Tu peux même rajouter tes propres noms à cette think academy (Soral, Nabe, Métaprophète, Robert-Dufour, Michéa, Millière, Brauman, De Benoist, Todd, Caillé, Godbout, Arondel, Lapaque, Bounan, Laclau, Polony, Rey, Père Calvez, Amselle, Thibaud, Amiech & Mattern, Jappe, Vidal, Liaudet, Cassen, Landfried...)


CSOJ - Société libérale et libertés - Dany Robert Dufour
envoyé par PolEtTique





Les 50 stars de la pensée


Les incontournables

Pontes du Collège de France, mandarins universitaires ou académiciens, ils sont des références dans leurs disciplines

CLAUDE LEVI-STRAUSS
- C'est le dernier des géants, un monstre sacré toujours vivant. Claude Lévi-Strauss, 100 ans, est le père fondateur de la théorie structuraliste qui a dominé la vie intellectuelle française dans les années 1960. Et c'est à lui, surtout, que l'on doit l'avènement de l'anthropologie dans le champ des sciences sociales. Philosophe de formation, devenu anthropologue au Brésil dans les années 1930, l'auteur de «Race et Histoire» a inscrit tout son travail dans une démarche de rupture avec l'ethnocentrisme occidental. L'anthropologue, qui a toujours tenu pour catastrophique l'expansionnisme occidental, ne cachait pas sa désolation en 2005 encore : «L'espèce humaine vit sous une sorte de régime d'empoisonnement interne - si je puis dire ?- et je pense au présent et au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence. Ce n'est pas un monde que j'aime.»
Elsa Vigoureux

Et aussi

Elisabeth de Fontenay, philosophe, ancien professeur à la Sorbonne, s'intéresse longtemps aux matérialistes comme Diderot ou Marx avant de travailler sur le rapport entre hommes et animaux. «Le Silence des bêtes», son grand livre, paraît en 1998.
Françoise Héritier, anthropologue, enseigne au Collège de France. Son travail sur la parenté a permis de nourrir les débats publics sur la filiation, l'adoption ou encore la parité.

René Girard a ouvert la voie à une nouvelle anthropologie à partir de sa découverte du caractère mimétique des comportements humains. Ce catholique fervent a fait toute sa carrière aux Etats-Unis.

Jacques Le Goff, historien du Moyen Age, a renouvelé la recherche dans ce domaine en y apportant un regard anthropologique. Les auditeurs de France-Culture connaissent ce conteur passionné à travers les nombreuses émissions de radio qu'il a animées.

Jacqueline de Romilly a été la deuxième femme à entrer à l'Académie française, après Marguerite Yourcenar. Cette grande helléniste s'est beaucoup investie dans la défense de l'enseignement des langues anciennes.

Pierre Nora, historien et éditeur, est le maître d'oeuvre des «Lieux de mémoire», inventaire de ces symboles où s'investit l'identité nationale. Académicien, il joue également un rôle important chez Gallimard, où il dirige la revue «le Débat».

Edgar Morin, sociologue traduit dans le monde entier. Inventeur de «la pensée complexe», méthode de saisie non cloisonnée du réel. Son concept de «politique de civilisation» a récemment inspiré Nicolas Sarkozy.

Les médiatiques

Ils ont commencé à débouler à la fin des années 1970. Polémiques, coups d'éclat. Qu'ils irritent ou séduisent, ils sont omniprésents

BERNARD-HENRI LEVY
- Depuis son apparition sur le plateau d'«Apostrophes» un soir de 1977, «BHL» demeure leur figure de proue indétrônée. Ancien disciple d'Althusser à Normale sup, il prend à 29 ans la tête d'un front antitotalitaire, dont les réseaux sont encore aujourd'hui très puissants. Depuis «la Barbarie à visage humain», quelques ajustements conceptuels auront été nécessaires à la survie de cet axe. Récemment encore, le concept un peu fruste de «fascislamisme», traçant une ligne droite du goulag jusqu'à Al-Qaida, y aura contribué. Des penseurs comme Deleuze verront dans cette démarche le symptôme d'une faillite de l'intellectuel par la vedettisation. La campagne de 2007 signera pourtant une forme de cassure chez les «nouveaux philosophes» : l'auteur de «l'Idéologie française» n'emboîte pas le pas à la rupture sarkozyste annoncée, qui séduit alors nombre de ses ex-camarades. Il en tirera «Ce grand cadavre à la renverse», profession de foi renouvelée à l'égard de la gauche, dont il vient d'assurer le book tour aux Etats-Unis. Aujourd'hui il publie avec Houellebecq «Ennemis publics», une correspondance surprenante. «Un salaud de bourgeois qui ne connaît rien à la question sociale et qui ne s'intéresse aux damnés de la terre que pour mieux faire sa publicité», tel est le portrait repoussoir que BHL y dresse de lui-même - pour mieux le corriger bien sûr. Le propre du spectaculaire, disait Debord, c'est d'intégrer sa critique quand celle-ci devient un peu trop massive.

Aude Lancelin

Et aussi

André Glucksmann, ex-mao, renaît en champion de l'antitotalitarisme à la fin des années 1970 et défend aujourd'hui la politique américaine au Moyen-Orient et la cause tchétchène. Son engagement sarkozyste en fait une figure du néoconservatisme à la française.

Michel Onfray, philosophe se revendiquant d'un nietzschéisme de gauche, a fondé l'Université populaire de Caen. Antichrétien acharné, il se réclame de la tradition hédoniste et cynique grecque.

Pascal Bruckner, essayiste et romancier, devient avec «le Sanglot de l'homme blanc» le fer de lance de la critique du tiers-mondisme qui mènera aux débats actuels sur la repentance mémorielle.

Régis Debray, philosophe et polémiste, est le plus médiatique des adversaires auto- proclamés du système médiatique. De Che Guevara à Chevènement, son parcours intellectuel l'a orienté vers une redécouverte du républicanisme et un intérêt croissant pour le phénomène religieux.

Luc Ferry, philosophe politique et ex-ministre de l'Education de Jean-Pierre Raffarin. Avec «la Pensée 68», coécrit avec Alain Renaut, il devient le héraut du rejet des maîtres-penseurs des années 1970.

André Comte-Sponville, ancien professeur de philosophie à la Sorbonne, inaugure avec le «Petit Traité des grandes vertus» la vogue éditoriale de l'éthique grand public.

Jacques Attali, économiste et essayiste. Ancien conseiller de François Mitterrand, il dispense sur toutes les ondes son expertise sur Gandhi, l'amour ou les méthodes pour libérer la croissance française. Les années fastes, il signe jusqu'à trois livres.

Alexandre Adler, historien et expert ès affaires internationales, qui a migré du Parti communiste à l'atlantisme dur en passant par le socialisme et le séguinisme. Il est chroniqueur sur France-Culture.

Les réformistes tendance
Plus raisonnables et moins clinquants que d'autres agitateurs d'idées, ils font aujourd'hui un come-back remarqué

MARCEL GAUCHET
- Issu de la mouvance antitotalitaire fondée par Cornelius Castoriadis et Claude Lefort, Socialisme ou Barbarie, l'historien et philosophe Marcel Gauchet prend la tête de la revue «le Débat» au côté de Pierre Nora en 1980. Objectif avoué : réhabiliter la matrice du libéralisme politique, rompre avec les «postures oppositionnelles de principe», qui sont à ses yeux la source du mal français. En plein mitterrandisme triomphant, Gauchet dénonce non sans courage un antiracisme estimé d'opérette et la promotion des droits de l'homme érigée en unique politique d'une gauche institutionnelle qu'il accuse de s'être détournée du peuple. Longtemps celle-ci se défiera de lui. Aujourd'hui, l'intelligentsia l'invite dans ses «think tanks», tel le club de réflexion En Temps réel, ou l'université d'été des Gracques le 7 septembre. Ses détracteurs, des bourdieusiens résolus jusqu'à Miguel Abensour, qui vient de publier fin août une lettre ouverte à Marcel Gauchet aux Editions Sens & Tonka, y entendu le signe d'une conversion coupable à l'ordre établi. L'auteur du «Désenchantement du monde» préfère y lire le signe d'un salutaire déplacement des lignes.
A. L.

PIERRE ROSANVALLON
- C'est le chantre du réformisme participatif, l'incontournable référence intellectuelle du centre-gauche. Pierre Rosanvallon, 60 ans, est un penseur issu de la «deuxième gauche», ancien permanent de la CFDT, proche de Michel Rocard, dont le travail porte essentiellement sur l'histoire de la démocratie, ses mutations, ses failles. L'auteur de «la Contre-Démocratie» considère que notre système n'est valable qu'à la condition de sans cesse se réinventer. Il prône une démocratie où le peuple serait moins souverain, plus participatif. Une idée qui inspire à gauche. Mais pour cet historien, enseignant au Collège de France, les socialistes sont encore trop timides, et surtout «prisonniers d'une conception étroitement électorale-représentative de la démocratie». Face à la crise du système représentatif, il prône une démocratie équipée d'instances de contrôle et de veille, qui garantiraient la primauté de l'intérêt général sur les intérêts partisans. Ancien membre de la Fondation Saint-Simon (François Furet, Alain Mnc, Jean Peyrelevade, Antoine Riboud, Laurent Joffrin...), favorable à la réforme de la Sécurité sociale en 1995, Pierre Rosanvallon est aussi à l'origine de la création en 2002 de la République des Idées. Cet «atelier intellectuel» dont la vocation est d'oeuvrer à une «nouvelle critique sociale» et au «renouvellement intellectuel de la gauche française et européenne». Un lieu de pensée où les héritiers de Pierre Rosanvallon entendent «acquérir une lucidité panoramique sur la société d'aujourd'hui dans une totale indépendance vis- à-vis des partis politiques».
E. V.

Et aussi
Patrick Weil, politologue et historien spécialiste de l'immigration, a démissionné de ses fonctions à la Cité nationale de l'Histoire de l'Immigration en 2007 pour protester contre la création du ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. Opposant de la gauche «sarkocompatible», il est l'auteur de «la République et sa diversité», au Seuil.

Olivier Mongin est philosophe et directeur de la revue «Esprit» depuis 1988. Issu du catholicisme social, il s'est intéressé aux oeuvres de Levinas et de Paul Ricoeur.

Alain Touraine, sociologue exégète des mouvements sociaux et révolutionnaires, s'est engagé contre la guerre d'Algérie, a bien connu Salvador Allende au Chili et le sous-commandant Marcos au Mexique. Proche du PSU et de Michel Rocard dans les années 1970, Alain Touraine, ami aussi de Bertrand Delanoë, vient de signer avec Ségolène Royal «Si la gauche veut des idées» (Grasset, 2008).

Thomas Piketty, économiste, a été le conseiller économique de la candidate socialiste lors de la dernière présidentielle. Spécialiste de la fiscalité et des inégalités, il considère que le RSA de Martin Hirsch est «une imposture».

Daniel Cohen est docteur en économie et agrégé de mathématiques. Pour lui, la seule régulation de l'économie ne suffit plus à résorber les inégalités sociales. La gauche doit s'adapter à un capitalisme qui n'est plus le même. Membre de la République des Idées, il est aussi l'auteur de «Trois Leçons sur la société post-industrielle» (Seuil).

Les conservateurs assumés
Refusant l'étiquette de réactionnaires, ils veulent faire la preuve que la gauche n'a pas le monopole des idées

ALAIN FINKIELKRAUT
- Toujours d'attaque pour guerroyer contre l'idéologie progressiste, l'auteur du «Mécontemporain» n'a cependant jamais consenti à un coming out droitier ni rallié le camp sarkozyste lors de la dernière campagne. Médiatisé au cours des années 1980 avec «la Défaite de la pensée», très inspiré par les critiques adressées à la modernité par la philosophe Hannah Arendt, acharné à défendre l'oeuvre d'un Charles Péguy ou l'honneur d'un Renaud Camus, «Finkie» fut longtemps raillé par la bien-pensance autorisée. Renversement significatif des temps, l'émission qu'il anime chaque samedi matin sur France-Culture est en quelques années devenue un rendez-vous culturel phare, y compris pour les bobos éclairés. Une interview à scandale accordé au quotidien israélien «Haaretz» lui vaudra une tempête médiatique après les émeutes de 2005. Bosseur, intègre jusque dans les hantises souvent outrées que lui inspirent les travers des démocraties de masse, Finkielkraut a depuis surmonté l'obstacle. Le naufrage de l'école et la dénonciation d'un nouvel antisémitisme occupent désormais l'essentiel de ses écrits.
A. L.

Et aussi
Nicolas Baverez, agrégé en sciences sociales, économiste, historien et avocat. Cet énarque, que Nicolas Sarkozy consulte volontiers, considère que l'antilibéralisme est à l'origine du «déclin» français. Il est notamment l'auteur de «la France qui tombe».

Marc Fumaroli, académicien et professeur au Collège de France. Spécialiste de l'histoire de la rhétorique et de Chateaubriand, il a entamé avec «l'Etat culturel» publié en 1991 une sévère critique de la culture subventionnée à la Jack Lang.

Blandine Kriegel, philosophe et présidente depuis 2002 du Haut Conseil à l'Intégration. Le parcours de cette ex-militante des Jeunesses communistes passée en quelques décennies de l'entourage de Foucault à la galaxie Sarkozy illustre le virage conservateur de toute une intelligentsia française.

Pierre Manent, auteur de classiques de la philosophie politique, ancien assistant de Raymond Aron au Collège de France. Pilier de la revue «Commentaire», il a contribué à la redécouverte des grands textes libéraux de Tocqueville et de Benjamin Constant.

Antoine Compagnon, historien de la littérature, élu en 2006 au Collège de France. Il est notamment l'auteur d'un livre de référence sur «les Antimodernes. De Joseph de Maistre à Roland Barthes».

Alain-Gérard Slama, professeur d'histoire des idées politiques à Sciences-Po, éditorialiste au «Figaro» et chroniqueur sur France-Culture. Sa détestation de Bourdieu et de la «gauche de gauche» en général est devenue proverbiale.

Les radicaux chics
Ils refusent de se prosterner devant la «démocratie marchande». Leur retour en force suscite la controverse

ALAIN BADIOU
- Inquiétant symptôme d'une renaissance de l'extrémisme intellectuel pour les uns, il est un recours vivifiant aux yeux des autres, tant le discours de la gauche «conforme» leur semble désormais inopérant et dévitalisé. La simple évocation du nom d'Alain Badiou déchaîne quoi qu'il en soit les passions. Héritier non repenti de Lacan, Sartre et Althusser, ce major de l'agrégation de philosophie, né en 1937, jouit en effet d'une médiatisation qui semble assez pénible à ses ex-camarades maos, pour certains ralliés à la droite atlantiste dure. Son libelle paru en 2007, «De quoi Sarkozy est-il le nom ?», a connu un vrai succès en librairie. A cela l'auteur de «l'Etre et l'Evénement», traduit et commenté dans le monde entier, ajoute une autorité universitaire peu discutable. Rue d'Ulm, où il est professeur honoraire, il a notamment fondé le Centre international d'Etude de la Philosophie française contemporaine (CIEPFC), lieu de recherches où se bouscule aujourd'hui l'élite normalienne. Métaphysicien, romancier, dramaturge, éditeur chez Fayard et polémiste acéré, militant contesté d'une Palestine binationale et d'un communisme débarrassé de ses atrocités staliniennes, il fait salle comble à chacune de ses conférences, à New York comme à Paris. «De quoi Sarkozy est-il le nom ?», le gimmick lancé par Badiou était récemment repris sur un plateau de Canal+ par le socialiste Vincent Peillon. Une fortune inattendue pour le plus engagé des penseurs français.
A. L.

JACQUES RANCIERE
- Lors de la campagne présidentielle de 2007, le site Désirs d'avenir de Ségolène Royal appelle l'oeuvre de Jacques Rancière en renfort pour justifier le concept de «démocratie participative». Issu du séminaire Althusser, tout comme André Glucksmann - il sera même l'un des tout jeunes coauteurs de «Lire le Capital» en 1965 -, le philosophe de 67 ans, jusque-là peu connu pour ses sympathies sociales-démocrates, tombe de l'armoire. Il est vrai que sa cote médiatique est en flèche depuis «la Haine de la démocratie», petit brûlot paru en 2005. Rancière y affrontait notamment les porte-drapeaux de l'école républicaine des années 1980, Alain Finkielkraut et surtout Jean-Claude Milner, selon lui reconvertis en fers de lance d'une réaction contre l'idéologie égalitaire issue des Lumières. L'auteur du «Maître ignorant» et d'«Aux bords du politique» est aujourd'hui l'un des penseurs français les plus lus à l'étranger, notamment en Amérique du Sud. Un des rares en tout cas à tenter de penser ici les bases d'une nouvelle politique d'émancipation.
A. L.

Et aussi
Luc Boltanski, sociologue et directeur de recherches à l'EHESS. Ancien proche de Bourdieu avec la pensée duquel il rompra, il est le coauteur du «Nouvel Esprit du capitalisme», livre de référence pour toute une gauche critique.

Yann Moulier Boutang, économiste, dirige la revue «Multitudes», proche des idées du philosophe italien Toni Negri. Il a récemment publié aux Editions Amsterdam une analyse des émeutes de 2005.

Michel Surya, philosophe et éditeur, a notamment travaillé sur la domination et signé des livres de référence sur Bataille et Artaud. Il dirige les Editions Lignes, où Alain Badiou publie fréquemment.

Gérard Mauger, sociologue antilibéral, a notamment travaillé sur les quartiers sensibles et les pratiques culturelles. Il est membre de l'association bourdieusienne Raisons d'Agir.

Eric Hazan, cofondateur des Editions La Fabrique, haut lieu de la résistance au consensus intellectuel droitier. Antisarkozyste radical, il signe en 2006 un essai à succès, «LQR, la propagande du quotidien», décryptant les méthodes de formatage de l'opinion.

La jeune garde
Ils sont tous trentenaires, ou un peu plus, plus «Inrocks» que «Figaro- scope», et cherchent à tailler leur route dans un paysage intellectuel souvent hostile

FRANCOIS CUSSET
- Ni bourdieusien, ni adepte de Toni Negri, ni tout à fait convaincu par Badiou, il demeure inclassable. A 38 ans, François Cusset incarne pourtant l'un des meilleurs espoirs intellectuels de la gauche dite «de gauche». A la fin des années 1990, il dirige le Bureau du Livre français à New York et découvre avec stupeur que les enchères ne se font pas là-bas autour des guides d'oenologie ou d'hôtels de charme, mais des droits d'auteur d'un Derrida ou d'un Deleuze. Il en tirera deux livres de référence, «French Theory», traduit en dix langues, et «Queer Critics». A son retour en France, l'université ne lui ouvre pas les bras. Trop médiatisé déjà, trop libre sans doute. Il devra se contenter de postes de vacataire à Sciences-Po et à la branche française de Columbia, de piges aux «Inrocks» ou à France-Culture. Aux Prairies ordinaires, il dirige désormais une collection palliant les retards de traduction de monuments américains tels que Frederic Jameson, spécialiste du capitalisme tardif. En 2009, si tout se passe bien, il pourra enfin enseigner à la fac. «Ma femme en a un peu marre des ?@intellos précaires de luxe», s'amuse-t-il. Bientôt l'éclaircie pour l'intelligentsia non conforme
A. L.

Et aussi
Mehdi Belhaj Kacem, dit «MBK», est écrivain et philosophe. Proche de Jean-Luc Nancy et d'Alain Badiou, il s'attache notamment à démontrer l'émergence, depuis la révolte des quartiers en 2005, d'une nouvelle figure politique majeure en France : celle du paria. Il est l'auteur, à 35 ans, de nombreux ouvrages, dont «Pop Philosophie» et «la Psychose française» (Gallimard, 2005).

Pap Ndiaye, historien et spécialiste des Etats-Unis, est l'un des membres fondateurs du Cran (Conseil représentatif des Associations noires de France). A 43 ans, il est l'auteur de «la Condition noire» (Calmann-Lévy).

Pierre Tévanian, 38 ans, est agrégé de philosophie. Cofondateur du collectif Les Mots sont importants, il s'attache à la déconstruction du discours raciste, de l'idéologie sécuritaire. Il est notamment l'auteur de «Les filles voilées parlent» (La Fabrique).

Bruce Bégout, 41 ans, philosophe, explore le monde urbain, s'intéresse à ces événements minimes qui font le quotidien et où se cache l'énigme même de la condition humaine. Il est l'auteur de «Zéropolis» (Allia).

Michela Marzano, philosophe du corps, explore la représentation des genres dans la pornographie, et dénonce l'idéologie du consentement qui fait office de morale aujourd'hui. Elle est l'auteur de «Malaise dans la sexualité. Le piège de la pornographie» (JC Lattès).

Thomas Deltombe, historien trentenaire, a travaillé sur la construction médiatique de l'islamophobie en France. Il est l'auteur, avec Didier Bigo et Laurent Bonelli, d'«Au nom du 11 septembre... Les démocraties à l'épreuve de l'antiterrorisme» (La Découverte).

Vincent Cespedes, philosophe, a entre autres dénoncé l'abrutissement de la jeunesse par la téléréalité, ainsi que l'hypermédiatisation des violences urbaines, selon lui responsable du virage à droite d'une société terrorisée. A 35 ans, il est éditeur et auteur de «Mai 68. La philosophie est dans la rue !» (Larousse).

Les clercs du nouveau monde
Ils sont économistes ou experts en relations internationales et, mondialisation oblige, de plus en plus sollicités

OLIVIER ROY
- Plus connu à l'étranger qu'en France, Olivier Roy, 59 ans, figure parmi les 100 intellectuels les plus influents au monde selon le classement publié en juillet dernier par les revues anglo-saxonnes de référence «Foreign Policy» et «Prospect». Ce politologue, diplômé de persan, agrégé de philosophie et directeur d'études à l'EHESS, s'est spécialisé sur la question de l'islam dans le monde. Auteur de «la Laïcité face à l'islam» (Hachette Littératures, 2005), il dénonce en France les visions essentialistes qui figent l'islam dans une représentation passéiste et antidémocratique : «Dans le fond l'islam n'est pas la cause de la crise du modèle français, mais le miroir dans lequel la société se regarde aujourd'hui. La France vit à travers l'islam la crise de son identité.»
E. V.

JEAN TIROLE
- Demandez aux responsables des plus prestigieuses revues internationales d'économie de vous citer les cinq Français les plus influents, et Jean Tirole arrive presque toujours en tête. Ce Champenois de 55 ans, qui a longtemps travaillé aux Etats-Unis et notamment au MIT (Boston), accumule les superlatifs et les distinctions. On le dit nobélisable. Il a déjà reçu, insigne rare dans sa discipline, la médaille d'or du CNRS en 2007. Toulouse - où il vit maintenant - lui doit en grande partie d'être devenu l'un des principaux pôles européens de recherche en économie. Peu présent sur les plateaux de télévision, cet ex-champion de ping-pong n'en inspire pas moins les débats à Bruxelles, dans les allées ministérielles ou dans les entreprises, via les différents comités de réflexion auxquels il participe. Il est très consulté sur les règles de la concurrence, l'environnement, la régulation - celle du système financier notamment. Sa «Théorie de l'organisation industrielle» est devenue un classique que, partout dans le monde, les étudiants ne connaissent plus que sous le nom du «Tirole». Aujourd'hui, il travaille avec un collègue de Princeton sur la psychologie économique, dans la droite ligne de ses précédents travaux sur la théorie des jeux appliquée aux mécanismes de décision dans le domaine industriel. Partisan de sensibiliser les entreprises aux dégâts sociaux qu'elles engendrent, il a prôné, en 2003, avec Olivier Blanchard, autre prestigieux économiste, une taxe sur les licenciements contre davantage de flexibilité.
Nicole Pénicaut

Et aussi
Esther Duflo, historienne et économiste, enseigne à Boston et occupe la chaire internationale «Savoirs contre pauvreté» au Collège de France. A 35 ans, elle figure parmi les 100 intellectuels les plus influents au monde, selon les revues «Prospect» et «Foreign Policy».

Thérèse Delpech, philosophe, ancienne conseillère d'Alain Juppé à Matignon. Membre de la revue néoconservatrice «le Meilleur des mondes», elle est aussi l'auteur de «l'Ensauvagement. Le retour de la barbarie au XXIe siècle» (Grasset).

Philippe Aghion est l'un des économistes les plus réputés à l'étranger. Il travaille sur la croissance, selon lui indissociable de l'innovation. Enseignant à Harvard, il est l'auteur des «Leviers de la croissance française».

Gilles Kepel, politologue, docteur en sociologie, est spécialiste du monde arabe. Il s'est particulièrement intéressé à l'islam politique, dont il prédisait en 2000 le déclin imminent. Thèse qu'il a dû remettre à jour après le 11-Septembre. Il est l'auteur de «Terreur et Martyre» (Flammarion).

3 commentaires:

  1. Le Clezio? On a un prix nobel de litté il rentre même pas dans le classement.

    De tout de façon ce genre d'"enquête" est complètement arbitraire, il y a Luc Ferry et Jacques Attali j'ai envie de dire...LOL.
    Et pour faire passer la pillule quelques vrais monstres comme Levi-Strauss.

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  2. mention spéciale à la citation de Debord "Le propre du spectaculaire, disait Debord, c'est d'intégrer sa critique quand celle-ci devient un peu trop massive. "

    Et vlan, BHL.

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  3. Je ne connaissais pas l'"Université populaire de Caen".Une université fondée par Onfray, ça donne vraiment, mais alors vraiment, pas envie.

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