2 avril 2008

Laissez pas passer le passé!

La diversité enfin représentée!

Quand j’étais gamin, on a fait une sortie avec l’école pour aller voir une pièce de Labiche à l’opéra de Lyon. Je ne me souviens ni de l’intrigue, ni des acteurs, ni même du titre mais je me souviens bien de l’ambiance. Une salle rouge, cossue, des velours, du bois, des sièges d’un incroyable confort, des accoudoirs formidables, des balcons ouvragés, une scène toute en rondeur que la profonde connaissance de la nature humaine et l’influence du Louis XV avait protégée des sécheresses de la ligne droite. Je me souviens finalement plus de l’esthétique de ce temple que de ce que la troupe tenta de faire sur scène, et je ne fus pas le seul. Les gamins, c’est comme ça.

Puis on considéra que le bâtiment était désuet, qu’il était insuffisant, qu’il n’était pas moderne, et on chargea Jean Nouvel de le vider de ses tripes. Le chantier dura plusieurs années : on décida de garder la façade, on plaça des structures de bois dans ses ouvertures de fenêtres, on démolit tout l’intérieur, caves et toit compris, et on rebâtit un édifice moderne à l’intérieur de la coquille, à grand renfort de béton. Tout le monde a dû voir ce genre de chantier : considérant qu’un bâtiment est beau, que sa façade est séduisante, on le vide comme un poulet et on le farcit d’escalators, d’ascenseurs, de matériaux intelligents. Les quelques originaux qui considèrent qu’un bâtiment ne peut se résumer à sa façade n’ont plus alors qu’à aller voir ailleurs si on respecte le passé. Dans une époque qui sait si bien surfer à la superficie des choses, il est parfaitement cohérent qu’on n’attache plus aucune importance à ce qui ne se voit pas, à ce qui existe à l’intérieur, et que d’un bâtiment qui a parfois plusieurs siècles de vie, on envisage de ne garder que la façade. C’est l’architecture du fake. Ça a l’air d’être ancien, ça a l’air d’être un vrai bâtiment, ça a l’air d’avoir été construit par les anciens, ça a l’air de témoigner de leur art de vivre, mais zobi ! A l’heure du body building, de la chirurgie esthétique, de la culture wikipédiesque et du crédit à la consommation automobile pour tous, il est bien normal que l’architecture participe au mouvement. D’ailleurs, plutôt que s’attacher aux pompeux et désuets concepts de notre devise nationale, Liberté, Egalité, Fraternité (et ces majuscules, j’vous demande un peu !) la République modernisée devrait fissa en adopter une nouvelle : « Ne vous fiez à rien ».

Evidemment, quand vous entrez aujourd’hui à l’opéra de Lyon, tout est moderne, c'est-à-dire froid et noir. Il faut cependant reconnaître que la transformation a été bien faite, et que les matériaux utilisés furent choisis parmi les plus nobles. Lignes épurées, murs lisses, sol glacé, ombres satinées dans une ambiance de cimetière chicos, l’endroit affiche la couleur (si j’ose dire) : vous n’êtes pas là pour rigoler.

Rigoler, en revanche, ça a longtemps été la raison d’exister de la bande dessinée. Mais depuis quelque temps, elle semble avoir mûri, on y rigole moins, on y dépense plus de fric et on s’y emmerde souvent. Entre les épopées héroïco teutoniques, les serial killers en goguettes, les polars bien pensants, les anti-héros autofictifs et les vengeuses aux seins gonflés maniant le gros calibre et la Rangers, on se mettrait à regretter le temps de Pim, Pam, Poum ! Dans l’idée de transformer la bande dessinée, de la purger des reliquats archaïques qui la déshonorent, des gonzes s’évertuent depuis quelques années à prolonger les aventures de Blake et Mortimer. Pourquoi pas ? Dès la première tentative, on sentit qu’un vent de réformes se levait sur la BD de papa. Assez discrètement au début, des personnages de nanas jeunes firent leur apparition, donnant le ton de l’œuvre de continuité qui débutait, et de la modestie de leurs auteurs par rapport au modèle qu’Edgar Pierre Jacobs nous a légué. Si ce dernier avait négligé de foutre de la meuf dans les pattes de ses si corrects héros, c’est à la fois parce qu’à l’époque, les lois du genre s’y opposaient, et probablement parce qu’il avait ses raisons. Une bande dessinée réalisée par un homme mûr, cultivé, maniaque, perfectionniste MAIS s’adressant à la jeunesse (c'est-à-dire aux jeunes garçons) des années 50/60, ça peut très bien se passer de femmes, d’épouses, de petites amies et de putes au grand cœur. Dans le chapitre féminin, Jacobs s’autorisait les concierges à boutons sur le nez, les gouvernantes en surpoids et, tout de même, les silhouettes d’élégantes en fond de décor. Pareil pour les minorités visibles : avec Jacobs, elles l’étaient beaucoup moins ! Les Chinois sont des insectes fourbes à faces de citron, les Egyptiens sont de modestes fellahs et les noirs n’ont pas encore été inventés. Pour ce qui est de l’Angliche, en revanche, on a toute latitude pour admirer la vigueur de son caractère, l’efficacité de ses astuces, la limpidité de son courage et sa capacité à œuvrer pour le bien de tous en pleine décontraction. On sera certainement tous d’accord pour reconnaître que « ça » a vieilli, comme les escaliers en bois des vieilles demeures, les murs épais d’un mètre, les fenêtres à meneaux, les cheminées noircies et les forgets pleins d’hirondelles. Mais, bordel de mouise, pourquoi faudrait-il toujours que le passé s’aligne sur notre présent ? Pourquoi faudrait-il que Blake et Mortimer se pacsent, fasse du vélo dans Paris et boycottent les JO de Pékin ? Petit à petit, à force de singer le présent, nos deux héros vont se trouver comme des cons : que faire des costumes fifty’s, du club de gentlemen, de la pipe et du chapeau, des vieilles bagnoles et des trains à vapeur ? Comme les « rénovateurs » essayent de garder tout ça en bouleversant profondément tout ce qui fait l’ambiance de la série (exclusivité du masculin, conservatisme, colonialisme, valeurs bourgeoises…), ils réussissent à faire énormément chier tout le monde.

La nécessaire modernisation des dialogues

Il y a des gens assez pervers pour estimer qu’un bâtiment du XVI ème siècle est mieux avec des poutrelles en béton, des jacuzzis, des Velux géants et un espace salon résolument bio, mais qui n’envisagent pas d’aller communier avec le XXI ème siècle dans un endroit construit pour. Il se trouve aussi des gens pour qui Edgar Pierre Jacobs est un vieux con, dont il est bon de piller l’esthétique de façade en bousillant frontalement le reste de l’œuvre, la vision du monde et la mémoire. Qu’ils aillent donc pondre de la BD ailleurs, et qu’ils laissent Blake et Mortimer peinards, dans leur époque morte.

4 commentaires:

  1. Non seulement il faut plier ces reliquats poussiéreux à la parité obligatoire, le racialisme diversitaire et la branchitude adolescente mais il faut aussi s'occuper des anciens numéros... Retoucher tout ça à la palette graphique et cramer le reste.
    C'est ainsi que nous bâtiront un homme nouveau, gentil et souriant.

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  2. Sinon, on peut pas faire un colloque sur "Ligne claire dans la bande dessinée" et extrême-droite?

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  3. Jean Nouvel est le Paul Amar de l'architecture...

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  4. Non, Codac, Jean Nouvel est un architecte authentique, qui a des idées et qui bosse (même si je ne suis pas toujours forcément séduit par ses réalisations).
    Paul Amar, c'est un mec qui fait surtout bosser des stagiaires, et dont on ne conservera peut-être le nom que parce qu'il a fait l'objet d'un article dans le CGB !
    Mais ta formule est amusante... (tu vois qu'on peut parfois se contenter de formules, sans donner d'explications didactiques et complètes)

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