5 septembre 2007

Ce n’est pas de la censure, c’est la guerre !

Pour les quelques-uns qui auraient loupé l’affaire, petit retour en arrière. Le gouvernement vénézuélien n’a pas renouvelé la concession de la chaîne de télévision RCTV qui a expiré en mai 2007 (la concession hertzienne a expiré, pas la chaîne qui continue d’émettre par câble et satellite et qui poursuit sa propagande contre le gouvernement d’Hugo Chavez). Comme dans de nombreux autres pays -en France, aux Etats-Unis, en Turquie ou en Grande-Bretagne par exemple- c’est l’Etat qui est propriétaire des fréquences de diffusion et ce sont les pouvoirs publics qui délivrent les licences et distribuent les fréquences.
A titre de comparaison, en France, la concession hertzienne de la chaîne qu’on avait coutume de surnommer « la voix de la France » (TF1), et qui fut bradée à un marchand de ciment en 1987, fut toujours renouvelée sans investigation, sans évaluation du service rendu (alors que rien n'oblige le gouvernement à faire ce renouvellement - mais évidemment une évaluation digne de ce nom révèlerait vite à qui est réellement rendu le service).

Alors bien sûr, suite à ce non renouvellement de la concession de RCTV, mesure dont il faut rappeler la totale légalité*, on a assisté à une levée de boucliers planétaire et les médias français n’ont pas été en reste dans ce concert de tartuffes hystériques. On n’a ainsi pas manqué de hurler ici ou là à la censure voire au fascisme. Encore une fois, l’occasion était trop belle de désigner un ennemi imaginaire afin de prétendre que soi-même on est dans le droit chemin et qu’on a les mains propres. Alors, à demi-voilées, les sempiternelles caricatures moisies : là-bas, celle du rouge avec le couteau entre les dents, la dangereuse dictature, alors qu’ici, chez nous, la chance de vivre en démocratie, d’exercer pleinement la liberté d’expression. Il vaut mieux évidemment rire de toutes ces sottises, même si malheureusement elles parviennent encore à convaincre quelques paumés, convaincus qu’ils sont que le quinté magique « Le Monde, Libération, Le Figaro, TF1, Canal + » incarne la pluralité des voix et l’espace public du débat démocratique. Non, bien sûr, chez nous pas de censure, pas de méchant dictateur qui monopolise la parole…

D’un côté donc, au Venezuela, une chaîne qui nuit à l’équilibre de la nation : RCTV a activement participé au coup d’état militaire raté de 2002 ; ses programmes, mettons en dehors les telenovelas, sont une propagande mensongère et une conspiration continue à l’encontre du gouvernement [A]. D’un autre côté, en France, une chaîne qui nuit à l’équilibre de la nation : TF1 est explicitement pour l’idéologie néolibérale et l’instauration d’une pensée unique, pour le communautarisme (discrimination positive à l’encontre des minorités visibles dans le recrutement de ses présentateurs) et pour l’abrutissement des masses à des fins marchandes (le fameux « temps de cerveau disponible) ; et plus généralement ses programmes sont une propagande permanente en faveur du gouvernement en place (dans la mesure où celui-ci souscrit à l’idéologie susmentionnée, ce qui a été le cas depuis la privatisation de la chaîne en 1987 puisque se sont succédé une gauche libéralo-libertaire et une droite libertaro-libérale. Pas de souci donc, le truc est bien huilé) [B]. D’un côté donc, au Venezuela, le non renouvellement d’une chaîne « ennemie » qui ne joue que pour les intérêts d’une élite, de l’autre, en France, le renouvellement inconditionnel d’une chaîne « amie » qui ne joue que pour les intérêts d’une oligarchie. Alors qui est le mieux placé ici pour donner des leçons de morale démocratique ? On voit bien qu’il s’agit d’une histoire de camps. Si on est, pour simplifier, dans le camp américano-capitaliste, cette affaire RCTV est une censure scandaleuse exercée par une sale dictature communiste et il ne faut pas hésiter à la dénoncer dans les médias dont on est propriétaire**, même si pour cela il faut user soi-même de la censure et du mensonge -puisque répétons-le, il n’y a rien d’illégal dans cette affaire et la liberté d’expression et la pluralité des médias n’est pas plus menacée au Venezuela qu’aux Etats-Unis ou en France, puisque les organes d’opposition (chaînes de télé, de radio et groupes de presse) y sont même plus nombreux que par chez nous *** ! Si en revanche, on est dans le camp d’un socialisme antimondialiste et anti-impérialiste, on reconnaîtra que cette affaire RCTV est un épisode somme toute assez légitime dans la guerre contre l’autre camp. On ne va pas hurler de joie (comme d’autres hurlent à la censure) mais on ne va certainement pas verser une larme pour une chaîne de pourris comme RCTV.

Marcel Granier, riche homme d’affaire vénézuelien
et président du groupe 1BC qui
contrôle une quarantaine de chaînes de radio et de
télévision à travers le pays et propriétaire de RCTV

Face à la déferlante antichaviste qui a eu lieu dans les médias dominants, déferlante qui en soi doit déjà constituer une source d’interrogations et de doutes, on peut donc se demander de quoi faut-il vraiment s’offusquer : qu'en France, par exemple, un gouvernement atlanto-libéral, inféodé aux puissances d'argent et aux Etats-Unis, reconduise une chaîne qui sert depuis plus de 20 ans ses intérêts, ou qu'un gouvernement de gauche nationale, oeuvrant pour les intérêts des petites gens, botte le cul de salopards qui menacent tous les jours d'assassiner son leader (car comme nous l’avons rappelé, et nul besoin d’être grand clerc pour deviner cela, RCTV est une chaîne de propagande de la droite pro-américaine soutenue par la CIA, et nul besoin également d’avoir fait Sciences Po pour savoir que les méthodes de madame CIA ne sont pas celles de l’Ile aux Enfants).
Malgré cela, d’aucuns piailleront à la dérive castriste du gouvernement Chavez avec les discours-fleuves et l’omniprésence télévisuelle. Premièrement, il faudrait concrètement vérifier sur place l’ampleur de la chose. Et en second lieu, sans que cela soit une justification de cette éventuelle dérive, l’observation lucide de ce qui se passe chez nous –se demander qui est omniprésent dans les médias, qui occupe l’écran et les colonnes de nos journaux, combien de voix discordantes se font réellement entendre – devrait stopper toute velléité d’invocation à la censure ou à la dictature et faire comprendre que tout ceci n’est pas de la censure mais est une guerre, idéologique certes, mais une vrai bataille pour le contrôle des médias et pour y imposer sa présence****
Car la politique c'est la guerre et le nerf de cette guerre ce sont les médias et l’argent. Le terme de censure dans ce cas ne veut rien dire. Il n’y a pas de censure, il n’y a qu’une guerre pour le contrôle des médias et des moyens de diffusions des idées. Ensuite, c’est l’ampleur de l’espace public de discussion, la teneur de la contradiction qui y est tolérée qui déterminent le degré de démocratie que tolère un pays, et cet espace varie également en fonction de l’importance du « danger », que représente le camp qui n’est pas au pouvoir, envers les intérêts de celui qui en tient les rênes.
De l’autre côté de l’Atlantique, n’en déplaisent à beaucoup, c’est un autre camp que celui du quinté magique « Le Monde, Libération, LeFigaro, TF1, Canal + » qui tient les rênes du pouvoir. A partir de là, on peut mieux décrypter la frilosité de ces derniers voire leur animosité à l’encontre d’un pays qui tente d’échapper à la main mise du FMI et aux tentatives de déstabilisation venues des Etats-Unis.

L’affaire RCTV n’est donc pas une question de censure et de liberté d’expression, mais une question de camp politique, et comme le disent les antichavistes de tous pays en criant au scandale, la décision de ne pas renouveler la concession est effectivement une décision politique. Et donc selon ces mêmes chantres de la démocratie, faire de la politique est scandaleux et attentatoire aux libertés au seul motif que ce n’est pas leur camp qui conduit cette politique. Où comment invoquer la démocratie et la liberté à propos d’un évènement mineur quant il ne s’agit que d’un prétexte pour faire la guerre à l’autre camp, en usant soi-même de méthodes fort peu démocratiques et fort contraires à la déontologie journalistique. Il vaut mieux rire de toute cette comédie ou balancer comme le fait si bien Chavez : « Que les représentants de la bourgeoisie internationale aillent se faire foutre ! ».
Cette idée de choisir son camp est il est vrai peu à la mode dans notre démocratie « modémisée » en route vers le « Parti Unique qui n’est ni de droite ni de gauche », c’est-à-dire qui n’est en fait rien du tout excepté l’approbateur de l’hégémonie du Marché. C’est pourquoi la critique du gouvernement Chavez se cache derrière les grands concepts consensuels (démocratie, liberté d’expression, censure) afin de ne pas réveiller les antagonismes de classe et pour ne pas ouvertement afficher son hostilité envers les mouvements populaires et sociaux. On n’est pas obligé de choisir son camp mais il est bon de connaître qui sont les protagonistes de l’histoire. Ainsi, et si ce n'est pas déjà fait, afin d’avoir un bon aperçu des pauvres victimes innocentes à qui on a interdit de diffuser leurs merdes sur les ondes nationales vénézueliennes -et qui donc, comme le clame toute la presse internationale inféodée aux néo-conservateurs bushistes, sont "censurées par une ignoble dictature de gauche"-, il est bon de regarder ce documentaire diffusé il y a quelques années sur ARTE (serait-il diffusé aujourd’hui ?), afin de voir combien elles sont sympas les pauvres victimes de Chavez. Après ça, on peut même trouver que les chavistes sont pas vraiment rancuniers et même vraiment très gentils à leur égard. Si la même chose se passait aux Etats-Unis ou en Italie ou même en France, on peut être sûr que le gouvernement aurait déjà trouvé une raison pour envoyer en prison les mecs qui s'opposent à eux.

La révolution ne sera pas télévisée

(prix meilleur docu festival Malaga / Prix Beau regard)

et un très bon article sur le sujet :
Acrimed2693


* En revanche, pour les nombreuses infractions à la législation et à la constitution vénézuelienne commises par la chaîne RCTV, se reporter aux articles suivants :
Salim Lamrani
Qui vive

** C’est-à-dire la majeure partie des médias internationaux

*** Or, le Venezuela pourrait basculer d'un extrême à un autre. Pendant des années, le secteur privé, contrôlé par l'opposition, a dominé le paysage de la presse écrite et télévisuelle, avec cinq chaînes - Venevisión, RCTV, Globovisión ,Televen and CMT - et neuf des dix principaux quotidiens. À chaque offensive pour déloger Hugo Chávez, les médias ont perdu de la crédibilité, alors que le chef de la révolution bolivarienne en profitait pour concentrer les pouvoirs. » Figaro 26 mai, 2007.

Si vous enlevez RCTV, il faut reconnaître qu’il y a quand même encore du beau monde face à Hugo Chavez ! Et il n’y a pas que des tendres, loin s’en faut.

**** L’histoire des révolutions de droite comme de gauche, nous montre que la prise du pouvoir est depuis longtemps indissociable de la main mise sur les moyens de communication de masse.


[A]
Dans un compte-rendu de la réunion du Cercle bolivarien de Paris du 26/07/07, une mise au point est faite concernant l’affaire Radio Caracas Télévision (RCTV), chaîne vénézuelienne dont la concession n’a pas été renouvelée pas le gouvernement Chavez.
RCTV est née en 1953. Elle est dès le départ la propriété privée d’un magnat « états-unien ». Sa programmation est très tôt orientée vers la propagande de la société marchande, notamment en privilégiant l’image des classes moyennes blanches et l’esthétique occidentale. L’apologie consumériste et la promotion capitaliste lui permettent de céder en toute impunité à l’immoralité, la violence, voire la pornographie. La chaîne, qu’on appelle aussi « la famille », favorise depuis longtemps un système de cooptation extrêmement malsain : ce qui ne l’empêche nullement d’oublier de payer les charges sociales de ses employés.

Dans son exposé, Madame Iris GARCIA (Ministre Conseillère auprès de l’Ambassade du Venezuela à Paris) :
rappelait les principales caractéristiques et la ligne éditoriale la chaine de télé RCTV dont la concession n’a pas été reconduite, un enterrement qui ne l’empêche nullement d’émettre sur le câble, le satellite ou internet.
RCTV a donc proposé 53 ans durant sa vision libérale et permissive de l’espace télévisuel :

- Evasion d’impôts.
- Cartellisation des tarifs.
- Violence et pornographie sans respect des créneaux horaires de protection des mineurs.
- Identité nationale (métisse et indienne) rejetée.
- Violation de la liberté d’information.
- Monopole d’exploitation du spectre radioélectrique depuis 53 ans.
- Absence de représentation des acteurs politiques.
- Injure et dénigrement systématique du président Chavez et de sa famille.
- Atteinte à la sécurité de la nation et à la stabilité de la démocratie par l’incitation au terrorisme.

Le président Chavez applique lui la constitution bolivarienne :

- Veiller à l’éducation et à la protection des plus jeunes (alors qu’une large majorité des prêtres soutient l’initiative du président Chavez, l’épiscopat a pris fait et cause pour RCTV).
- Contribuer à la formation citoyenne.
- Assurer la protection des consommateurs.
- Empêcher les troubles à l’ordre public et les atteintes à la démocratie.
- Encourager la pluralité des médias.


[B]
Les taux d’audience de TF1 battent tous les records. « Un cas unique au monde. Il n’y a guère que les télévisions chinoises, nord-coréennes et albanaises pour faire mieux. Mais sous contrôle de l’Etat ! »
« « Nos programmes, nos marques, nos infos sont les plus enphase avec les désirs et les préoccupations des téléspecteurs (sic) » annonce Nonce Paolini »
« Car quoi qu’en disent les mauvaises langues, ce n’est pas le Château (l’Elysée) qui fait le journal. « J’ai travaillé sous trois présidents, et je suis toujours en place », rappelle-t-il [Robert Namias, patron de la rédaction de TF1] (Sud-Ouest, 30 août 2007)
Namias ne pouvait pas mieux confirmer que pour rester en place à TF1, il faut bien évidemment collaborer étroitement avec le Château et que les points de vue convergent et s’interpénètrent. Depuis 1987, pas vraiment de fausse note dans cette étroite et mutuelle surveillance collaboratrice.






2 commentaires:

  1. Excellent article ! Celui de l'Acrimed me semble un modèle de cruauté (à l'encontre des opposants et de leurs manoeuvres). Et la vidéo est tout simplement exceptionnelle d'intensité.
    D'ici, on ne sait pas vraiment comment se passe la vie au Vénézuela, mais il semble quand même invraisemblable qu'après tant d'élections ou de scrutins régulièrement gagnés, (cinq ou six depuis son élection), Chavez soit autant maltraité par nos médias. On peut ne pas être d'accord avec lui, s'opposer à son programme ou carrément dire qu'on chie sur les pauvres, mais le faire passer pour un dictateur, c'est tout simplement une galéjade.

    J'aimerais d'ailleurs bien savoir quelle a été la "répression" après ce coup d'état... des milliers de morts ? des prisons pleines de journalistes ?

    La révolution sera télévisée.

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  2. Gabriel Fouquet, est-ce que tu aimes quand Ricky Bobby se frotte à ta jambe ?

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