27 octobre 2006

La mort pour aboutissement


Antoine-Charles-Louis Lasalle est connu de tous les passionnés de l’épopée impériale, mais ce personnage haut en couleurs reste assez oublié auprès des “pékins” de base.
Si on se souvient des maréchaux on oublie vite les autres officiers dont Lasalle, “le premier sabreur de l’Empire”, est certainement le meilleur exemple. Son épitaphe, il l’a écrite de son vivant à sa femme :
Mon cœur est à toi, mon sang à l’Empereur, ma vie à l’Honneur.

Antoine Lasalle est né à Metz le 10 mai 1775. De petite noblesse, il est très jeune attiré par le métier des armes. À titre d’exemple, il fut sous-lieutenant en 1786, chez les cadets, à l’âge de 11 ans !
A la révolution, ce jeune exalté s’engagea dans le bataillon parisien des Piques où il intégra le régiment des chasseurs à cheval. Il partit avec l’armée du Nord défendre la jeune république française en 1793. Le général Kellerman, qui commandait en chef, repéra vite ce jeune homme de 18 ans cultivé mais courageux comme un lion et c’est tout naturellement qu’il en fit son aide de camp.

Il le prit sous son aile et c’est avec son fils que Lasalle partit faire la première campagne d’Italie avec le grade de lieutenant. Avec quelques cavaliers, il passa derrière les lignes autrichiennes pour retrouver, à Vicence, son premier amour la belle marquise de Sali. Cette dernière lui fournit des informations sur les positions autrichiennes. Il les ramena au général Bonaparte qui va le nommer chef d’escadron (commandant) sur-le-champ. Lasalle n’a pas encore 22 ans et il va faire des miracles à la bataille de Rivoli, 8 jours plus tard, où il captura un régiment autrichien avec son escadron. Alors qu’il ramène, mort de fatigue, les drapeaux pris à Bonaparte ce dernier lui dit : Couches toi dessus Lasalle. Tu l’as bien mérité.



Lasalle, 22 ans, à Rivoli


Napoléon l’amène en Egypte où, en pleine bataille contre les Mamelouks, devant les pyramides, il perd son sabre. Avec un sang froid extraordinaire, il met pied à terre en pleine mêlée et ramasse son arme. Mais Lasalle n’est pas seulement courageux, c’est également un homme d’esprit, d’honneur et un excellent musicien.
Mais ce qu’il aime par dessus tout c’est la “déconnade”. Il aime boire, jurer, jouer, plaisanter et le fait avec tous les hommes de son régiment, quelque soit leur grade.
En Italie, il entre à cheval dans une salle de bal et fait danser sa monture au rythme de l’orchestre. C’est également un homme à femmes qui adore séduire toutes sortes de dames. Mais il a trop d’honneur pour n’être qu’un coureur.

En Egypte, il entretient une correspondance très dense avec une femme mariée. Les Anglais, maîtres de la Méditerranée depuis la bataille d’Aboukir, interceptent quelques-unes de ses lettres et les publient en Angleterre pour montrer que tous les officiers de Napoléon sont des dépravés. Ces méthodes de corsaires (toujours en vogue d'ailleurs outre-manche) firent grand scandale, même en Angleterre où la moitié de l’opinion était, quoi qu’on en dise aujourd’hui, favorable aux idées de la révolution. La pauvre amante, elle, fut répudiée par son mari et se retrouva sans le sou. Dès son retour en France, avec le grade de colonel, Lasalle l’épousera pour réparer l’affront et l’on peut dire qu’à vingt-cinq ans, ce grand coureur fit là un beau sacrifice.

Bonaparte, maintenant 1er consul, lui donna 200.000 francs pour la noce. Lassalle paya ses dettes avec la moitié de cette somme et perdit le reste aux cartes. Napoléon, qui devait être invité à ce mariage qu’il ne voyait pas venir, lui demanda, en le croisant aux Tuileries, la date de la noce. Sans se démonter, Lasalle lui annonce la vérité tout de go. Napoléon en rie de bon cœur et demande à Duroc de redonner 200.000 francs à cet officier des hussards qui trouvera toujours grâce à ses yeux.


Lasalle et Murat, les deux plus grands sabreurs de l'Empire


En 1800, alors qu’il se trouve à Salamanque, Lasalle, comme la plupart des officiers, s’emmerde sec. Mais le colonel de cavalerie légère n’a pas son pareil pour distraire son monde. Il créé la Société des Altérés. Tout le monde peut y entrer mais il faut respecter la seule et unique règle : ne jamais dire que l’on a pas soif ! En un mois, cette bande d’enragés, comme les appelle Thielbault, réussi l’exploit de vider toutes les réserves d’alcool de la ville !
Il n’y a plus une seule bouteille pleine ! Lasalle, bien fier de lui, fait rentrer le général Thielbault dans sa chambre où ils font le décompte des flacons qu’il a bu la veille. Devant le nombre hallucinant de “cadavres” le pauvre Thielbault demande au Hussard s’il veut se tuer. Lasalle eut cette réponse qui restera dans l’histoire : Mon ami, tout hussard qui n'est pas mort à trente ans est un jean-foutre, et je m'arrange pour ne pas passer ce terme. Il en avait 25.

De retour en France, alors qu’il est encore colonel, il croise un autre régiment de hussards et invite les deux corps d’officiers à dîner. Mais avant de manger, il fait venir deux énormes tonneaux de vin de Bourgogne que l’assistance est obligée de vider avant de passer aux vins fins. On imagine dans quel état ils passèrent à table !


Statue équestre de Lasalle devant le château de Lunéville


Lasalle avait pour habitude de passer des nuits de débauche avec ses inférieurs en grade, ce qui était en principe interdit par le nouveau règlement militaire. Un jour, il rentre à la caserne au petit matin avec un capitaine. Pas la peine de préciser que les deux larrons sont ivres morts. Devant le piquet, Lasalle, qui ne tient plus debout fait mettre le capitaine aux arrêts pour état d’ivresse avant d’aller se coucher. Le pauvre diable passa la nuit au cachot.

Lasalle est nommé général de brigade avant Austerlitz, en 1805. En 1806, durant la campagne de Prusse, il fonde sa célèbre Brigade Infernale, composée du 5ème et 7ème hussard. Ces deux régiments pourchasseront les prussiens durant des jours et obligeront le vieux Blücher à se rendre. Durant cette campagne, il réalise l’exploit de faire capituler la forteresse autrichienne de Stettin avec seulement ses deux régiments de hussards !! Il avait, comme aux cartes, bluffé le gouverneur de la place en prétendant que toute la grande armée était derrière lui. Le gouverneur lui remit les clefs de la place, la peur au ventre. Si, comme l’a dit Marbot, ce dernier avait utilisé ses clefs pour fermer les portes de sa forteresse, toute la cavalerie de l’Europe n’aurait pu la prendre.


La reddition de Settin devant la Brigade Infernale


En 1806, durant la première campagne de Pologne, la brigade de Lasalle qui n’en peut plus de la boue, de la neige et du froid et qui, en plus, a la gueule de bois, se met à grogner ferme. Alors qu’elle charge les batteries de canons russes, quelqu’un crie « halte » et la brigade s’arrête. Le général revient sur ses pas et cherche, en vain et sous les boulets, qui a donné l’ordre de rompre la charge. Lasalle, pour les punir, les place en ligne, sous le feu des canons russes. Il est vingt pas devant sa brigade, les bras croisés sur la poitrine et les seuls mots qui sortent de sa bouche sont les suivants : Serrez les rangs !
Deux heures plus tard, le général a perdu dix hussards et deux chevaux tués sous lui lorsqu’il donne enfin l’ordre de rompre les rangs. On ne peut que frissonner devant un tel mépris de la mort qu’il appliquera, toute sa vie et avant tout, à lui-même.

Lasalle va être muté en Espagne où, très vite, les horreurs de la guérilla vont le dégoûter. Cependant, entre deux coups de gueule, il va se couvrir de gloire. Il sauve, entre autres exploits, l’armée française à Medellin le 28 mars 1809 en enfonçant, avec ses hussards, un carré de 6000 fantassins espagnols ! C’est à cette époque qu’il a la curieuse idée de faire venir sa femme sur un champ de bataille. La pauvre dame, en voyant un soldat au bras arraché à l’arrière des lignes, est prise d’une crise d’hystérie et elle doit être ramenée en toute hâte en ville. Lasalle, plus pince sans rire que jamais, dira à son aide de camp que sa femme est devenue poltronne !


La dernière charge


Mais l’histoire touche à sa fin. Lasalle est rappelé pour la campagne d’Allemagne de 1809. Il se bat à Essling et au siège de Raab. Puis c’est la bataille de Wagram où, aux dernières heures des combats, alors que la France a gagné la victoire, il mène le 1er cuirassiers dans une charge inutile sur un régiment autrichien en fuite. L’un des fantassins se retourne et tire au hasard sur la masse des cavaliers français. Lasalle reçoit la balle en plein front et tombe raide mort à l’âge de 34 ans.

Peu de “pékins”, comme je l’ai dis plus haut, connaissent le général Lasalle mais tout le monde a chanté Fanchon qui aime à rire et à boire comme nous. Sachez que c’est lui qui a écrit cette chanson à boire en l’honneur d’une cantinière qu’adorait sa brigade. Il aurait certainement aimé qu’on se souvienne de lui de cette façon : en chantant ses chansons et en se bourrant la gueule !


Statue du général Lasalle rue de Rivoli, sur les niches du Louvre


Son nom est, bien sûr, gravé sur l’Arc de Triomphe. Il peut se coucher sur toute cette gloire, il l’a bien mérité.

4 commentaires:

  1. Encore un magnifique portrait de surhomme, Atlantis !
    A 24h près, vous auriez même pu célébrer les 200 ans de sa victoire contre les autrichiens à Zedhenick
    http://frenchvictories.hautetfort.com/archive/2006/10/26/26-octobre.html

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  2. http://frenchvictories.hautetfort.com/archive/2006/10/26/26-octobre.html

    Nous fêtions il y a 2 jours les 200 ans d'un de ses plus hauts faits d'arme

    Très belle bio une nouvelle fois Atlantis

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  3. Merci, pour cet article...Qui que vous soyez...


    Jeanne de Lasalle.

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  4. "Le général de division Lasalle a été tué d’une balle. C’était un officier du plus grand mérite et l’un de nos meilleurs généraux de cavalerie légère."

    (Napoléon Bonaparte)

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