25 août 2006

Mathématiques et politique


Le XIXème siècle, si prolixe en génies, a été cruel avec le plus brillant d’entre eux, un jeune homme nommé Evariste Galois. Lorsqu’il mourut d’une balle dans le ventre à l’hôpital Cochin en mai 1832 il n’avait pas vingt et un ans mais laissait un héritage scientifique qui ira jusqu’à la lune.


Evariste Galois est né le 25 octobre 1811 à Bourg la Reine, au sud de Paris. Ses parents furent toujours de fervents républicains ce qui eut une influence sur la personnalité de leur fils. Ils étaient également tous deux très cultivés. Le père d’Evariste, Nicolas, était enseignant et en 1815, il fut élu maire de Bourg le Reine. Sa mère, Adélaïde, éduqua seul son fils jusqu’à ses 12 ans. Elle lui apprit le grec, le latin et la théologie. Il eut une enfance heureuse et on peut dire que ce furent là les seules années de bonheur qui égaillèrent sa vie.

Evariste entra au collège Louis-le-grand, à Paris, que l’on appelait à l’époque Collège Royale.

Collège Louis le Grand


Il y régnait un esprit très républicain qui va séduire le jeune homme. L’école l’ennuie et il doit même doubler son année scolaire 1826-27. C’est à l’âge de quinze ans qu’il va découvrir sa passion pour les mathématiques en lisant Éléments de Géométrie de Legendre et Textes sur la Résolution des Équations de Lagrange. Les livres scolaires ne lui suffisent plus et il va rentrer dans l’étude comme en religion. Son caractère change du tout au tout. Il devient taciturne, orgueilleux, sombre, frondeur et surtout méditatif et solitaire. Seules les mathématiques trouvent grâce à ses yeux et il néglige copieusement les autres matières. Un de ses professeurs, monsieur Pierrot, écrira : il n’y a trace dans ses devoirs, quand il daigne en faire, que de bizarrerie et de négligence. (...) Il baisse tous les jours.


Fatigué de ses professeurs, qui le lui rendent bien, Evariste prépare seul l’entrée au concours de l’École Polytechnique. C’était en 1828 et il échoua. Sa déception fut immense car Polytechnique n’était pas qu’une grande école, c’était également un établissement où régnait encore cet esprit républicain qui enflammait le cœur du jeune homme. A l’époque, le roi Charles X, fieffé réactionnaire, tente un retour en arrière très impopulaire si bien que le peuple gronde et regrette la révolution et même l’Empire.

Evariste retourna à Louis-le-Grand l’année suivante où son professeur de mathématiques spéciales, monsieur Richard, fut si impressionné du talent du jeune homme qu’il lui prédit le premier rang à l’École Polytechnique. Plus enthousiaste que jamais Evariste tenta de nouveau le concours. Mais une catastrophe allait ébranler le jeune homme. Son père, toujours maire de Bourg la Reine, fut apparemment victime d’une conspiration cléricale menée par le curé du village. Ce dernier, farouche anti-libéraux, aurait imité la signature de Nicolas Galois pour signer des pamphlets calomnieux. Le père Galois ne supporta pas le scandale et, au lieu de se justifier, il préféra se pendre dans son appartement parisien. Evariste fut effondré et c’est dans de très mauvaises conditions qu’il passa son examen d’entrée.

Devant le tableau noir, il se querella avec l’un de ses examinateurs, monsieur Dinet. Ce dernier affirmait que les maths ne servaient qu’à apprendre à raisonner, pour Galois, c’était la clé de l’univers. Exaspéré, Evariste lui jeta à la tête le torchon servant à effacer le tableau. Inutile de préciser qu’il fut recalé pour la seconde fois.

Plus déprimé que jamais, Evariste renonce à Polytechnique, où il rêvait de suivre les cours de Gauchy et d’Ampère, et se tourne vers l’École Préparatoire (qui remplace l’École Normale supprimée en 1822). Encore une fois, c’est le “clash” avec des professeurs qu’il méprise. L’un d’eux, monsieur Péclet, dira même de lui : Je lui crois peu d’intelligence ou, du moins, il l’a tellement cachée qu’il m’a été impossible de la découvrir.

Evariste va lui donner tort quelques jours plus tard. Une revue scientifique, qui circulait à l’école, donnait l’énoncé d’un théorème d’algèbre de Sturm sans la démonstration. Evariste jeta un oeil sur l’article et, après quelques minutes, il monta au tableau et en fit la démonstration devant les regards médusés de ses camarades.


Equations rédigées de la main d'Evariste


Il envoie à Gauchy, qu’il admire, un travail sur la théorie des équations. Sur ses conseils, il rédige et publie trois mémoires dont un sur la résolution des équations par les radicaux qu’il envoie à Fourier, le secrétaire de l’académie. Mais ce dernier meurt avant d’avoir étudié le travail du jeune homme et son étude ne sera jamais retrouvée. C’était la seule copie.


Révolution de 1830


En Juillet 1830, le roi Charles X, qui en a trop fait aux Français, se prend en pleine figure, une révolution qu’il n’a pas vu venir. Evariste et ses camarades ne veulent surtout pas passer à côté de l’histoire mais le directeur de l’établissement, monsieur Guigniault, les enferment dans l’école comme du bétail. Le jeune Galois tente de faire le mur mais il est pris. Le roi abdique et Louis-Philippe prend sa place en rétablissant le drapeau tricolore. Evariste est aux anges mais Gauchy, fervent royaliste, quitte la France. C’était le seul à s’intéresser et à comprendre les travaux du jeune homme.

En décembre 1830, Guigniault écrira un article dans un journal où il critiqua l’attitude de ses étudiants durant la révolution de juillet. Evariste prend la plume et lui adresse une virulente réponse dans la Gazette des Écoles. La réaction ne se fait pas attendre : Evariste est mis à la porte de l’établissement. Il s’engage alors dans l’artillerie de la Garde Nationale, la plus républicaine des milices de la capitale mais le 31 décembre, le roi Louis-Philippe, qui en a peur, fait dissoudre le régiment. Le même mois Evariste publie un article scientifique dans les Annales de Gergonne. En janvier, il publie une lettre sur l’enseignement des sciences dans la Gazette des Écoles. C’est également l’époque où Galois s’engage tout entier en politique. Comme il le dira lui même : mon cœur se révolta contre ma tête.

Il participe à toutes les émeutes qui suivent les procès des ministres de Charles X. Il trouve les parisiens trop mous et veut une véritable révolution, comme en 1789. S’il fallait un cadavre pour ameuter le peuple dira-t-il, je donnerai le mien.


Uniforme de la Garde Nationale de Paris, 1831


En mai 1831, 19 officiers d’artillerie de la Garde Nationale, qui avaient été arrêtés fin 1830, sont acquittés. Un grand banquet est donné en leur honneur. Evariste porte un toast au roi Louis-Philippe un poignard à la main. Il est arrêté en sortant de table et jeté à la prison de Sainte Pélagie. A son procès, le 15 juin 1831, son avocat affirmera que son client avait dit en montrant son poignard : pour Louis-Philippe, s’il trahit.

Quoi qu’il en soit, Evariste eut de la chance, Il fut acquitté. Ce qui est très étonnant car en captivité, il ne cessa de dire des horreurs sur le roi. Mais il allait vite retourner en taule. Le 14 juillet, il se balade dans les rues de Paris en uniforme de la Garde Nationale, ce qui est déjà illégal. Mais la cerise sur la gâteau c’est qu’il porte en bandoulière un fusil chargé et à la ceinture deux pistolet et un poignard. Il se retrouva vite à Sainte Pélagie. C’est là qu’il apprit que Poisson, à qui il avait envoyé un mémoire, l’avait rejeté pour insuffisance de développement. Cependant, il encouragea, dans une lettre, le jeune homme à poursuivre ses travaux.

En prison il travaille de tête et fait les cent pas dans les couloirs sous les moqueries de ses camarades de détention. Sa tête bouillonne de formules, de calcul, d’équations. Il restera enfermé à Sainte Pélagie six mois jusqu’en février 1832 où une violente épidémie de choléra atteint Paris. Il est alors est transféré en mars dans une maison de santé sous surveillance policière. C’est là qu’il va rencontrer celle qui va provoquer sa perte. Il tombe fou amoureux d’une certaine Stéphanie-Félice à qui il adresse des billets enflammés.


Détail d’un manuscrit d’Evariste sur lequel on peut lire le prénom : Stéphanie


Hors, la belle est déjà fiancée avec un certain Perscheux d’Herbinvil. On ne sait pas trop si Evariste et Stéphanie-Félice eurent une liaison. Ce qui est certain c’est que le fiancé, qui en plus était royaliste, découvrit les lettres et provoqua le jeune Galois en duel.




La vielle du duel, le 29 mai 1832, Evariste, sachant sa fin proche, mit de l’ordre dans ses travaux et écrivit une lettre à son ami Auguste Chevalier. Il lui confiera ses analyses sur la théorie des équations et sur les fonctions intégrales et lui demandera de faire suivre ses travaux à Jacobi et Gauss. Comme il l’écrit lui-même : il se trouvera, j’espère, des gens qui trouveront leur profit à déchiffrer tout ce gâchis.

Il se rendit à l’étang de la Glacière au petit matin avec deux témoins. Perscheux d’Herbinvil lui collera une balle dans le ventre. Evariste, qui n’était pas mort fut laissé là, comme un chien. Ce qui est délirant c’est que même ses témoins l’abandonnèrent !
C’est un paysan qui finit par le ramasser avant de l’amener à l’hôpital Cochin à Paris.
Prévenu, son frère Alfred vint le voir. Ne pleure pas, lui dira Evariste, j’ai besoin de tout mon courage pour mourir à vingt ans.


Dessein d’Evariste exécuté de mémoire par son frère Alfred en 1848


Evariste succomba le lendemain, dans les bras de son frère. Ce dernier et Auguste Chevalier transmirent les travaux d’Evariste à Jacobi et Gauss mais aucun des deux ne donna son opinion sur les études du jeune homme. Il fallut attendre 1846 pour que Louiville publie les papiers de Galois dans son journal. On y trouve les premières notions de la théorie des groupes et l’applique de la résolution des problèmes. Ce n’est qu’en 1870, soit 38 ans après sa mort, que l’on comprit enfin tout son génie et la grande profondeur de ses recherches. Il avait tout simplement jeté les bases des mathématiques modernes. Un cratère de la Lune lui est dédié. Un bel hommage à ce rêveur éveillé qui fut tué trop jeune, bien trop jeune.

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